TOUTES LES AUTORITÉS ONT MANGÉ: HISTOIRE ET ÉCONOMIE POLITIQUE DU FONCIER URBAIN À BUKAVU

RÉSUMÉ

En République démocratique du Congo (RDC), le cadre opaque qui régit la gouvernance foncière, dont on sait qu’il est à l’origine de nombreux conflits allant de désaccords entre voisins à des affrontements violents entre groupes armés, fait l’objet d’une réforme depuis plus de dix ans. Dans ces débats autour du foncier et du conflit, une attention particulière est accordée aux zones rurales congolaises, mais les enjeux sont tout aussi importants dans les villes.

Pour mieux comprendre le cadre de gouvernance foncière, il est utile d’étudier l’histoire et l’économie politique des terres urbaines de Bukavu, ville de l’est du pays. Trois lieux où sévit un conflit foncier sont particulièrement intéressants : 1) le cimetière de la Ruzizi, dans lequel des personnes construisent des logements depuis les guerres du Congo (1996–2003) ; 2) une large zone de parade à ciel ouvert désaffectée dans le quartier de Panzi, censée être un espace public abritant un terrain de football et un camp militaire contesté ; et 3) le village de Mbobero, dans la banlieue de Bukavu, sous le feu des projecteurs depuis que la famille de l’ancien président y a acquis de vastes terrains. Les réflexions politiques formulées à l’égard de ces conflits fonciers peuvent servir à encourager les discussions actuelles des bailleurs de fonds autour des interventions et de la réforme foncières en offrant des perspectives uniques, à partir de la base.

Les travaux de recherche sur lesquels s’appuie ce rapport mettent en évidence deux grandes tendances qui influent sur les pratiques actuelles en matière d’accès aux terres urbaines et de tenure foncière. Premièrement, le droit foncier colonial et l’administration coloniale ont instauré une sphère urbaine distincte du monde rural. Si les terrains à Bukavu sont restés au moins juridiquement distincts dans les documents officiels, les pratiques en matière d’accès à la terre et de tenure foncière ont évolué au fil des décennies, rendant parfois le droit foncier urbain vide de sens. Deuxièmement, dans la logique clientéliste qui imprègne toutes les institutions de l’État congolais depuis les années 1970, le monde de la politique et le monde des affaires sont inextricablement liés. Des entrepreneurs politiques fortunés reçoivent un accès privilégié aux institutions et aux ressources de l’État en échange de leur loyauté. Parallèlement à cela, des petits administrateurs profitent de leur position pour dégager des revenus et versent des pots-de-vin à leurs supérieurs dont dépend leur emploi. Dans un tel contexte, les terrains et biens immobiliers urbains sont devenus des ressources extrêmement lucratives pour tous ces différents acteurs.

Le vécu de ceux qui subissent le conflit foncier à Bukavu en dit long sur les défis quotidiens attribuables à ces deux tendances. Interrogés sur la manière dont ils s’y prennent pour faire face à ces défis, il est évident qu’ils n’ont plus confiance dans le système de justice formel, qu’ils préfèrent recourir à des accords de médiation et qu’ils voudraient que l’État se range de leur côté plutôt que de celui des riches et des puissants. Ces réponses illustrent combien il est impératif de reconnaître la quête de dignité des populations qui se reflète dans les difficultés rencontrées au quotidien pour établir un foyer à Bukavu.

Dès lors, quelles sont les implications pour les bailleurs qui appuient la réforme foncière en RDC?

Retrouvez la version anglaise de ce rapport ici. 

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