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L’uniforme du policier : Symbole de fierté, cause de malheur et source de revenu

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Ce blog fait partie d’un projet de recherche intitulé Polisi Siku Kwa Siku sur la vie quotidienne du policier à Bukavu, ville dans l’est de la République démocratique du Congo. Le projet, financé par le Knowledge Management Fund du KPSRL, explore comment les pratiques et expériences quotidiennes du policier peuvent être inclues de manière réfléchie dans la réforme de la police congolaise. RVI est un partenaire du projet.
 

Introduction

Voyez, l’uniforme du policier, c’est son identification directe. Lorsque le policier est en uniforme, il n’est pas non-apparent. On connaît immédiatement qu’il est policier. Et c’est l’uniforme qui informe directement la population que non, non, celui-là est chargé de la protection des civils et de ses biens. Le fait de porter seulement l’uniforme vous fait identifié [par] cette population qui est informée de ce que fait la police auprès d’elle.1

A travers le monde, l’uniforme revêt une valeur symbolique indéniable. Que ce soit dans les services de sécurité, dans la prison, à l’hôpital, à l’école ou dans des clubs sportifs, l’uniforme est un élément d’identification et de différenciation. L’uniforme militaire et policier représente l’autorité de l’Etat, unit ceux qui servent sous le drapeau et exige égards et respect envers eux. Cependant, le symbolisme de l’uniforme n’est pas toujours positif pour les policiers à Bukavu. Ces derniers travaillent et vivent dans des conditions difficiles. Dans la lutte contre les défis quotidiens que les policiers doivent surmonter, l’uniforme joue un rôle ambiguë : parfois, il suggère le respect pour la police et sa fierté; autres fois, il stigmatise, cause la honte et insécurise ; et encore autres fois, il ne sert que comme facilitateur pour trouver de l’argent.   

L’uniforme, baromètre de la valeur de la police dans la société

Un jour, nous étions partis arrêter quelqu’un. Parmi nous, il y avait un policier qui portait une tenue sale, déchirée et usée. Arrivés à l’endroit [où devait avoir lieu l’arrestation], la personne ciblée a refusé que ce policier puisse entrer dans sa clôture avec cette tenue. Les autres policiers étaient entrés dans la maison, mais lui était resté à l’extérieur devant la porte.2

Pour la plupart des policiers, porter la tenue signifie représenter son pays et constitue donc un acte pleine de symbolisme : de fierté, de respect et d’autorité auprès de la population.3 Un policier soulignait cette réalité en ces termes : « Donc, par rapport à l’uniforme-là, la couleur du drapeau, c’est de la valeur, on a beaucoup plus d’estime. Et maintenant quand on arrive chez lui [le policier], on est chez un travailleur de l’Etat. »4

Un policier en tenue © Josaphat Musamba, January 2018.Cependant, dans l’exercice quotidien de la fonction policière, faute de dotations régulières de nouveaux uniformes, la tenue du policier perd sa valeur symbolique positive—et s’inverse même. Un policier identifiait le problème comme suit : « Bon, j’ai une seule tenue ou j’en ai deux, mais elles sont déchirées. Donc même si je les lessive, je vais toujours paraître sale, c’est le problème. »5 Un autre policier remarquait : « Le policier qui porte un uniforme troué déjà au niveau des fesses, il a pris d’autres tissus usés, il colle là-bas. Vous voyez, quand vous passez devant les gens comme ça, trop sale, ça fait honte ça, ça donne une grande plaie dans le cœur.»6

Dans la ville de Bukavu, une tenue sale et usée fait objet de moquerie, de dénigrement et engendre le manque d’estime de la population envers les policiers. D’ailleurs pour éviter ces moqueries, certains policiers ne mettent leurs uniformes que quand ils arrivent au commissariat.7 A part l’impact psychologique de cette situation sur le policier, le manque de respect de la part de la population représente aussi un obstacle dans la poursuite de la mission de la police. Un policier rapportait la résistance et le mépris subis auprès d’un citoyen : « Toi, policier, tu peux emprisonner qui avec cette tenue sale, usée et trouée jusqu’à exposer tes fesses ? »8

Au delà de l’état de l’uniforme, lorsque les relations entre police et population se détériorent, la tenue peut devenir le symbole de la répression. Un groupe de policiers remarquaient que, dans de telles périodes, ils ne peuvent pas se promener librement en uniforme parce qu’ils craignent les représailles populaires revanchistes.9 Un autre policier racontait que, pendant des récentes tensions sérieuses entre police et population à Bukavu suite à une confrontation violente aux quartiers Cahi et Panzi en fin septembre 2017, ses voisins lui apportaient des vêtements civils au commissariat pour lui permettre de rentrer chez lui incognito. Ce policier précisait : « Quand on [la population] aperçoit seulement la tenue policière, directement on connaît que < non, non, ce sont ces voleurs-là >. L’image [de la police] était complètement ternie. » Comme pour souligner cette importance symbolique de l’uniforme, il ajoutait : « Même pendant qu’elle [la police] n’avait pas encore perdu cette confiance auprès de la population à ce niveau là, si je suis seul la nuit en uniforme, je suis insécurisé.»10

Ce sentiment de méfiance, cependant, est souvent réciproque. Plusieurs policiers accusent la population de ne pas collaborer avec eux. Ils se plaignaient que : « La population est fausse ».11 L’uniforme a donc un impact direct sur le travail quotidien du policier, sa valeur dans la société et sa perception de la population. Mais à part ses caractéristiques symboliques, la tenue porte aussi une valeur matérielle.

La tenue policière : Source de revenu, ressource matérielle

[L]es commandants ont la chance d’arriver auprès du numéro Un de la police et peuvent facilement avoir la tenue parce que les tenues sont disponibles là et en grande quantité. Il arrive que l’on [la hiérarchie] instruise de donner les tenues [aux policiers], mais on [les subalternes] refuse de distribuer … pour les vendre à 10 ou 20 dollars.12

Comme sa dotation se fait rarement et souvent suivant des principes de favoritisme, la tenue policière est devenue une marchandise convoitée. Compte tenu de la logique interne de la police comme institution génératrice de ressources, il n’est peut-être pas trop surprenant que la hiérarchie exploite cette situation.

Un policier expliquait qu’en 2016, cette question était à la une au sein de la police : « Nous, on nous a dit que c’était terminé [la dotation de tenues était insuffisante] mais on commençait à vendre l’uniforme à 25 dollars. L’uniforme neuf là. Ça avait créé même une polémique. »13 Mais le trafic d’uniforme—en théorie illégale—ne se limite pas au niveau de la hiérarchie. Le manque de salaire pousse les policiers subalternes à brader la tenue eux aussi, parfois cependant avec des conséquences graves : « Je me suis retrouvé avec une tenue qui était en bon état, … je l’ai vendue à un collègue policier. Il m’a donné ne fut-ce que 5 dollars qui a aidé mes enfants. Puis au bureau, ils ont été au courant, ils m’ont emprisonné. »14

En même temps, si l’uniforme est dans un bon état, il rend le travail du policier moins difficile jusqu’au point à faciliter la chasse aux revenus. Un policier remarquait : « Si je porte la tenue, je sais bien que je dois trouver de l’argent. Même sans demander, quelqu’un qui me connaît me donne de l’argent quand il me voit. »15 Un autre était encore plus explicite en disant que : « D’autres jours, c’est de porter seulement la tenue et puis je pars «choquer » [tracasser], je cherche [du revenu] parce que c’est inutile de rester à la maison»16

Conclusion

L’uniforme est un élément important dans la vie quotidienne du policier : source de fierté et de respect, il reflète le sentiment national et représente l’ordre public. Le manque de dotations, le détournement de celles-ci et la situation socio-économique des policiers, cependant, ont dégradé la valeur symbolique de l’uniforme. Une tenue sale et usée cause la honte et endommage l’image de la police. Le trafic de l’uniforme le réduit à une simple marchandise. Dans d’autres cas, la tenue du policier facilite la recherche des revenus et la tracasserie au point que la population perçoit l’uniforme souvent comme symbole de « ce qui ne va pas » au pays. Cela explique pourquoi la tenue du policier peut le mettre en danger face à une population déterminée à se prendre en charge. L’image de la police et l’expérience quotidienne du policier sont donc directement liées à son uniforme. En investissant davantage dans la tenue policière, pourrait-on améliorer non seulement la motivation quotidienne du policier de faire aisément son travail, mais aussi son appréciation dans la société et, ultimement, les relations entre police et population ?

Notes

1. Entretien avec policier 1, 24 octobre 2017.
2. Focus Groupe B, 2 novembre 2017 (traduit du Swahili).
3. Focus Groupe B, 2 novembre 2017.
4. Entretien avec policier 1, 9 novembre 2017.
5. Entretien avec policier 7, 29 octobre 2017 (traduit du Swahili).
6. Entretien avec policier 1, 26 octobre 2017.
7. Focus Groupe A, 2 novembre 2017.
8. Focus Groupe B, 2 novembre 2017 (traduit du Swahili).
9. Focus Groupe C, 3 novembre 2017.
10. Entretiens avec policier 1, 16 et 24 octobre 2017.
11. Focus Groupe C, 3 novembre 2017 (traduit du Lingala).
12. Entretien avec policier 7, 10 novembre 2017 (traduit du Swahili).
13. Entretien avec policier 1, 26 octobre 2017.
14. Entretien avec policier 6, 24 octobre 2017.
15. Focus Groupe A, 2 novembre 2017 (traduit du Swahili).
16. Entretien avec policier 6, 24 octobre 2017 (traduit du Swahili).

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