RÉDIGÉ PAR MICHEL THILL | ÉDITÉ PAR JOHN RYLE & TYMON KIEPE | TRADUIT PAR CATHERINE DAUVERGNE-NEWMAN (HORIZONS) | TÉLÉCHARGER
Points clés
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Le Projet Usalama de l’Institut de la Vallée du Rift (RVI) a pour mission de pallier l’absence d’informations détaillées sur les groupes armés congolais.
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L’Institut a publié 14 rapports et documents d’information sur les groupes armés qui opèrent dans l’est de la RDC (y compris sur l’armée nationale congolaise, les FARDC).
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Les échecs des différents groupes armés dont nous avons rendu compte en disent plus long que leurs réussites.
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Le M23, par exemple, bien qu’ayant rapporté des victoires militaires au tout début, n’a pas réussi à mobiliser la communauté au sein de laquelle il est apparu.
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Les Raïa Mutomboki ont commencé sous la forme d’un groupe local d’autodéfense en réponse à l’insécurité, avant de devenir eux-mêmes source d’insécurité.
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La réforme des FARDC constitue un défi tant politique que technique.
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Si les commentateurs de la société civile congolaise tiennent à montrer du doigt les sociétés multinationales, les chercheurs du RVI mettent en cause la dynamique nationale et régionale.
Composition du panel
Willy Mikenye, directeur adjoint du Projet Usalama du RVI et Point focal du RVI à Bukavu (modérateur)
Jason Stearns, directeur du Projet Usalama du RVI
Judith Verweijen, chercheuse au Nordic Africa Institute et pour le Projet Usalama du RVI
Koen Vlassenroot, directeur du Groupe Recherche sur les conflits de l’Université de Gand et chercheur pour le Projet Usalama du RVI
Introduction
Cette réunion a été organisée conjointement par l’Institut de la Vallée du Rift (RVI), le Réseau pour la réforme du secteur de sécurité et de la justice (RRSSJ), le Centre pour la Gouvernance (CEGO) et l’Open Society Initiative for Southern Africa (OSISA). Elle s’est déroulée le 4 novembre 2013 à Kinshasa, peu après la défaite militaire de la rébellion du M23 face aux forces armées du gouvernement congolais.
La réunion a été ouverte par Willy Mikenye, directeur adjoint du Projet Usalama du RVI, qui a présenté Nick Elebe, directeur pays de l’OSISA, et John Ryle, directeur exécutif du RVI. John Ryle a décrit les grandes lignes des travaux de l’Institut, en remerciant le personnel du Projet Usalama pour tout le travail fourni ces deux dernières années et en exprimant plus spécifiquement sa gratitude au directeur du Projet, Jason Stearns, ainsi qu’au responsable du Projet Grands Lacs du RVI, Michel Thill. Il a également remercié les bailleurs de fonds du Projet, à savoir Wynnette LaBrosse et Dick Matgen de l’Open Square Project et Federico Borello de Humanity United.
Objectifs et conclusions du Projet
Jason Stearns, directeur du Projet Usalama du RVI, a présenté les questions qui ont guidé le projet ainsi que les conclusions générales tirées des 18 mois de travaux sur le terrain.
Il a ainsi expliqué que l’enquête s’était appuyée sur deux questions clés : premièrement, pourquoi le conflit dans l’est de la RDC s’était-il poursuivi alors que de nombreuses séries de négociations avaient été menées avec les groupes armés, que plusieurs offensives militaires avaient été lancées et que des millions de dollars avaient été dépensés afin de mettre un terme à la violence ? Deuxièmement, les initiatives actuellement destinées à mettre un terme au conflit se penchaient-elles sur ses causes profondes ?
Pour comprendre ce second point, a-t-il précisé, il avait fallu développer une compréhension détaillée des groupes armés. Par exemple, quels facteurs avaient provoqué la rébellion du M23 ? S’agissait-il de griefs locaux ou d’intérêts rwandais ? Pourquoi le « général » Yakutumba avait-il déserté l’armée en 2006 pour créer son propre groupe Maï-Maï et pourquoi son groupe existait-il encore aujourd’hui ? Le Projet Usalama s’était fixé pour objectif de pallier le manque d’informations sur ce point. À ce jour, il a conduit à la publication de 11 rapports et 3 documents d’information sur les groupes armés ainsi que sur des thématiques connexes.
Après une présentation des différentes théories avancées pour expliquer la persistance du conflit—faiblesse de l’État, rôle du Rwanda, conflits locaux préexistants et concurrence autour des ressources naturelles—, Jason Stearns a résumé les principales conclusions du Projet Usalama.
Premièrement : paradoxalement, le processus de paix mené sur la période 2003-2006 a été un facteur de la perpétuation de la guerre. En effet, le RCD—prédécesseur du CNDP et du M23—était à deux doigts de tout perdre à cause du processus de paix. Il a donc décidé d’appuyer la création du CNDP pour sauvegarder ses intérêts.
Deuxièmement : des groupes armés tels que le CNDP/M23, les FDLR et les FNL ont eu un effet multiplicateur, poussant d’autres groupes à prendre les armes soit pour se défendre contre eux, soit pour les soutenir.
Troisièmement : les groupes armés se sont progressivement détachés des communautés locales au sein desquelles ils étaient apparus dans les années 1960 et 1990 et ont rejoint les réseaux politiques et économiques d’élite.
Groupes armés et acronymes
ADF/NALU – Allied Democratic Forces/National Army for the Liberation of Uganda (Forces démocratiques alliées/Armée nationale pour la libération de l’Ouganda)
AFDL – Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre
APCLS – Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain
CNDP – Congrès national pour la défense du peuple
FDLR – Forces démocratiques de libération du Rwanda
FNL – Forces nationales de libération
M23 – Mouvement du 23 mars
PARECO – Patriotes résistants congolais
RCD – Rassemblement congolais pour la démocratie
Un quatrième facteur a été la militarisation de la politique et la politisation du conflit en raison de rivalités électorales. La violence est aujourd’hui un outil qu’exploitent les politiciens et les hommes d’affaires provinciaux pour négocier des postes de pouvoir avec l’État. En outre, les politiciens se servent des groupes armés pour mobiliser les électeurs lors des campagnes électorales.
Cinquième et dernier point, les multiples vagues d’intégration des groupes armés dans l’armée nationale ont affaibli cette dernière qui, jusqu’à récemment, ne pouvait pas faire face à la mobilisation armée permanente dans l’est du pays.
ÉTUDE DE CAS Nº 1 : Le CNDP et le M23
Jason Stearns a illustré ces conclusions par l’exemple du CNDP/M23.
La naissance du CNDP, dirigé principalement par des Tutsi, remonte, comme l’a expliqué Jason, à la période qui a précédé les élections nationales de 2006. C’est pendant la période de transition allant de 2003 à 2006 qu’est né le conflit tel qu’il persiste aujourd’hui.
Le RCD, mouvement rebelle soutenu par le Rwanda et qui, à cette époque, contrôlait un tiers du territoire de la RDC, savait qu’il allait ressortir perdant des prochaines élections. (Il finit par ne remporter que 4 % des sièges à l’Assemblée nationale.) L’élite Tutsi congolaise et au Rwanda se mit à craindre que sa représentation politique ne suffise pas à assurer sa sécurité et à sauvegarder ses intérêts politiques et économiques. Il lui fallait donc être protégée par la force. Le RCD décida d’appuyer une petite faction d’anciens membres. Ce groupe ne s’était pas intégré dans l’armée nationale et il avait conservé ses armes. En 2006, le groupe prit le nom de CNDP. Le CNDP provoqua la mobilisation d’autres groupes armés, qui considéraient le CNDP comme un intrus venu de l’étranger. Parmi ces groupes figuraient la PARECO, l’APCLS, les Maï-Maï Yakutumba, les Maï-Maï Lafontaine et les Maï-Maï Kifuafua.
Après que les gouvernements rwandais et congolais avaient signé un accord secret en janvier 2009 en vue de démobiliser et de réintégrer le CNDP, ce dernier finit par accepter un accord de paix le 23 mars 2009. Le gouvernement rwandais tenta alors de s’affranchir des pressions internationales dont il avait l’objet à cause du soutien qu’il accordait au CNDP. Qui plus est, il essaya de protéger ses intérêts dans l’est de la RDC par l’intermédiaire du réseau ex-CNDP présent au sein de l’armée congolaise.
Pour Kinshasa, cet accord était un moyen de dissoudre le CNDP en éparpillant ses combattants sur l’ensemble du territoire congolais. Mais la logique du gouvernement rwandais fut finalement celle qui prévalut : les troupes du CNDP restèrent principalement au Nord- et au Sud-Kivu et continuèrent de s’appuyer sur les réseaux dont elles disposaient dans ces deux provinces. L’ancien CNDP réussit ainsi à établir une chaîne de commandement parallèle au sein de l’armée nationale.
Après les élections nationales de 2011, le Président Joseph Kabila s’attela au démantèlement de cette chaîne de commandement parallèle. L’ancien chef du CNDP, Bosco Ntaganda, menacé par une condamnation de la CPI, résista. En avril 2012, il déserta, accompagné de quelques centaines de soldats, et créa un nouveau groupe armé, le M23, dont le nom évoquait l’accord de paix du 23 mars 2009, lequel s’était soldé par un échec.
La dynamique interne du mouvement du M23 constitua pour lui une véritable contrainte : les échecs qu’il essuya en dirent plus long que ses réussites. Le M23 ne parvint pas à mobiliser sa propre communauté et regroupa un petit nombre de militaires Tutsi du Nord-Kivu. Historiquement, plusieurs communautés s’étaient mobilisées contre le Président Mobutu sous la bannière de l’AFDL, dont les Katagangais, les Rwandophones et les Banyamulenge, mais les bases de soutien du groupe armé soutenues par le Rwanda qui se succédèrent furent de plus en plus limitées dans la région, à partir du RCD jusqu’au M23, en passant par le CNDP.
Le M23 fut donc contraint de conclure des « alliances contre nature » avec des groupes réputés anti-rwandophones, notamment Albert « Fokka Mike » Kahasha, les Maï-Maï de Lafontaine et certaines sections des Raïa Mutomboki. Il s’appuya toutefois fortement sur un soutien militaire rwandais direct, manifeste lors de chaque offensive militaire majeure en 2012. La défaite du M23 fut principalement imputable au retrait du soutien rwandais.
ÉTUDE DE CAS Nº 2 : Des citoyens en colère : les Raïa Mutomboki
Koen Vlassenroot a présenté le cas des Raïa Mutomboki (« citoyens en colère » en swahili), un mouvement qui constitue une nouvelle forme de mobilisation armée. Ce mouvement a été créé par des communautés locales en réaction à l’insécurité, notamment aux atrocités commises par les FDLR. Les Raïa Mutomboki sont souvent appuyés par des chefs coutumiers et se composent d’anciens combattants de groupes armés, de déserteurs de l’armée et de jeunes, qui s’organisent par le biais d’un rituel appelé dawa qui rendrait invincible. Les Raïa Mutomboki ont rapidement réussi à repousser les FDLR.
Aujourd’hui, les Raïa Mutomboki se composent de plusieurs groupes armés autonomes unis de manière non structurée par le fait qu’ils utilisent le même nom et qu’ils s’appuient sur une idéologie basée sur l’autodéfense. Les différentes branches de cette franchise (pour reprendre l’expression employée dans le rapport consacré aux Raïa Mutomboki) varient selon les ambitions et les intérêts de leur dirigeant.
L’origine des Raïa Mutomboki remonte à mars 2005. Alors qu’ils se rendaient dans une mine d’or à Kayoka, dans le territoire de Shabunda, au Sud-Kivu, pour y vendre de la nourriture aux mineurs, certains commerçants locaux furent attaqués et tués par les FDLR. Cette attaque était la conséquence indirecte du refus par plusieurs groupes Maï-Maï—ainsi que les FDLR—de s’intégrer dans l’armée nationale nouvellement constituée, les FARDC, qui avait laissé un vide sécuritaire dans les régions rurales du Sud-Kivu. Parallèlement, à partir de 2004, les FARDC lancèrent des attaques contre les FDLR, qui provoquèrent des attaques de représailles à l’encontre de la population locale. Les Raïa Mutomboki furent créés en mars 2005 en réaction à cette insécurité locale.
Les offensives militaires de l’armée finirent par repousser les FDLR et, avec elles, la menace qu’elles posaient à la population locale. Entre 2007 et 2011, les Raïa Mutomboki disparurent. En mai 2011, cependant, une nouvelle réforme de l’armée obligea des unités de l’armée déployées au Shabunda à rejoindre un processus de régimentation. La région se retrouva de nouveau sans protection. Les FDLR en profitèrent pour rétablir leur contrôle dans ces zones, déclenchant alors une nouvelle vague de remobilisation, cette fois-ci bien plus importante, parmi les forces Raïa Mutomboki dans tout le territoire de Shabunda.
Fin 2011, la franchise des Raïa Mutomboki s’étendit aux territoires de Kalehe et de Walikale au Nord-Kivu. Malgré les difficultés associées à une expansion dans de nouvelles régions, où il se retrouva confronté à d’autres groupes armés, le mouvement s’étendit et reçut un accueil favorable de la part de la population locale. Les objectifs des Raïa Mutomboki restèrent les mêmes : libérer les régions des FDLR, protéger la population locale et faciliter le retour des civils dans leurs habitations précédemment occupées par les FDLR.
De nouveau, c’est une atrocité commise par les FDLR qui marqua un tournant dans le parcours du groupe : en mai 2012, le massacre de Kamananga, au Kalehe, fit 30 morts parmi les civils et poussa une nouvelle vague de combattants à rejoindre les rangs des Raïa Mutomboki. Ces derniers virent cet incident comme la preuve du fait que l’armée nationale et les forces de l’ONU chargées du maintien de la paix n’assuraient pas la sécurité.
Les Raïa Mutomboki sont donc un groupe qui, bien qu’originaire d’une zone rurale reculée, a réussi à étendre son influence bien au-delà du territoire du groupe ethnique duquel il est issu. Il s’agit d’un mouvement décentralisé et peu discipliné qui, pourtant, a réussi à repousser les FDLR.
Les principaux facteurs de la réussite des Raïa Mutomboki sont sans doute les suivants : le groupe s’appuie sur une mobilisation de grande ampleur, sur des structures de pouvoir coutumier et sur des traditions locales. Ces facteurs lui permettent en effet de rallier un soutien accru auprès des communautés locales. La simplicité de son idéologie et son recours à des rituels locaux sont également cruciaux pour maintenir une cohésion interne. Son ascension est aussi due à l’échec du processus de paix, qui a conduit à l’apparition de vides sécuritaires dans les régions rurales. Le peu d’égard accordé à la réforme de la gouvernance locale autour de questions clés telles que le foncier, l’identité et le pouvoir coutumier a permis aux Raïa Mutomboki de se présenter comme un substitut légitime de l’État.
Mais tandis que les différentes branches s’impliquent de plus en plus dans la résolution des conflits locaux, les dissensions internes autour du pouvoir local et les affrontements directs avec l’armée congolaise se multiplient. Les différents groupes ont commencé à imposer des taxes. Les exactions contre la population locale sont de plus en plus fréquentes. Ce qui avait commencé comme une force locale d’autodéfense établie en réaction à l’insécurité est justement devenu, au fil du temps, source d’insécurité.
ÉTUDE DE CAS Nº 3 : Les FARDC, les forces armées de la RDC
Judith Verweijen a fait un exposé sur l’armée nationale congolaise et son impact sur les conflits dans l’Est. Elle a ainsi fait valoir que la récente défaite du M23 montre que les FARDC ont beaucoup progressé, surtout dans les domaines du soutien logistique, de la structure de commandement, des renseignements militaires, de la discipline et de la motivation. Elle a cependant souligné que le renforcement des capacités de l’armée n’était pas purement une question d’ordre technique, mais aussi—pour ne pas dire surtout—de volonté politique.
L’efficacité opérationnelle n’est qu’un des nombreux aspects du mode de fonctionnement d’une armée. Il convient également d’y ajouter la gestion des ressources humaines et les relations civilo-militaires. L’une des questions prioritaires concerne la politique régissant l’intégration des groupes armés dans les rangs de l’armée.
Les FARDC ont été créées en 2003 après la signature de l’Accord global et inclusif. Elles devaient reposer sur un processus de réintégration de grande ampleur appelé « brassage ». Ce processus connut certaines réussites : 18 brigades intégrées furent créées et une nouvelle structure et organisation de commandement fut instaurée—avec des ressources limitées.
Néanmoins, ce processus rencontra de nombreuses difficultés. Il fut exécuté dans un climat de méfiance par certaines factions, qui n’hésitèrent pas à reprendre les armes pour promouvoir leurs propres intérêts. Ces factions dissidentes menèrent ainsi un double jeu : d’un côté, elles s’engagèrent formellement envers le processus d’intégration ; de l’autre, elles tentèrent de le manipuler. D’autres factions refusèrent catégoriquement de s’intégrer et restèrent actives en tant que groupes armés.
Ces groupes armés se mirent à prendre en otage le processus d’intégration. La raison : la jeune armée nationale ne pouvait et ne voulait pas tout de suite exercer de pressions militaires sur les dernières forces rebelles. Elle essaya plutôt de convaincre les chefs des différents groupes de s’intégrer en échange de l’attribution de grades élevés et de garanties en vertu desquelles ils ne seraient ni traduits en justice, ni redéployés. Cette politique eut des répercussions négatives : la mobilisation armée devint un instrument permettant aux élites de s’arroger des postes de pouvoir dans l’armée et elle provoqua des défections lorsque des anciens rebelles mécontents de la situation décidèrent de déserter puis essayèrent de se réintégrer dans de meilleures conditions. Ce comportement suscita une forte frustration parmi les troupes loyales.
Cela dit, les problèmes de l’armée ne sont pas tous dus au processus d’intégration. Certains remontent au régime du Président Mobutu. Lorsque celui-ci prit le pouvoir en 1965, il fut confronté à un dilemme : d’un côté, il avait besoin d’une armée solide pour venir à bout de tous les mouvements sécessionnistes et des forces rebelles alors actives en RDC ; de l’autre, il voulait éviter de créer une armée suffisamment puissante pour se retourner contre lui. Par conséquent, pour s’assurer de la loyauté de l’armée, Mobutu la divisa, instaurant de multiples structures de commandement parallèles et plusieurs unités d’élite qui—contrairement au reste de l’armée—bénéficièrent d’excellents programmes de formation, équipements et salaires. Il toléra également que des officiers supérieurs mènent des activités dans le secteur des affaires.
« La politique qui permet aux rebelles intégrés de faire dé-sertion avant de se réintégrer de nouveau est un élément moteur de la mobilisation armée. »
Les faiblesses de l’armée congolaise ont donc des racines historiques profondes. Cependant, le processus d’intégration les a considérablement exacerbées. Les trois principaux problèmes sont les suivants : premièrement, le déclin de la promotion au mérite suite à l’attribution de rangs à des ex-rebelles selon des critères politiques. Cette politique a entraîné une hausse du nombre d’officiers par rapport aux soldats de base, si bien que l’organigramme de l’armée ressemble à une pyramide inversée. La plupart de ces officiers n’ont pas les qualifications adéquates, et pourtant ils se retrouvent à un poste hiérarchique situé au-dessus des officiers chevronnés et bien formés, d’où des tensions et des frustrations.
Deuxième problème : le factionnalisme et la création de chaînes de commandement parallèles du fait de la présence au sein de l’armée de réseaux d’anciens membres d’un même groupe armé, ou de soldats provenant d’une même région et/ou issus de la même origine ethnique. Leurs membres n’obéissent pas aux ordres de leur supérieur officiel mais à ceux du commandant de leur précédent groupe armé ou unité, d’où l’apparition de structures de commandement parallèles. Ils se mobilisent pour défendre les intérêts de leurs dirigeants informels, et non pas dans l’intérêt général de l’armée.
Le troisième facteur est la provincialisation de l’armée. Les unités déployées dans les deux Kivus se composent principalement de soldats nés dans ces provinces ou qui y sont basés depuis longtemps. Nombre d’entre eux sont d’anciens combattants de groupes armés qui ont maintenu leurs liens avec les réseaux d’élite locaux, qu’ils soient économiques ou politiques. Ils sont actifs dans le secteur des affaires local et régional, interviennent dans les affaires politiques et peuvent entretenir des liens avec des groupes armés.
Bref, le déséquilibre qui caractérise le processus d’intégration des groupes armés dans l’armée a entraîné une politisation, un tribalisme et un manque de loyauté qui ont affecté les capacités des FARDC à mettre fin aux crises dans l’est du pays.
Considérations pour l’avenir
La seconde partie de la conférence a permis de réfléchir à la manière dont les résultats des travaux de recherche du Projet Usalama pourraient éclairer la mise en œuvre de solutions durables, l’objectif étant de mettre un terme à la violence des groupes armés dans l’Est et de réformer l’armée nationale congolaise.
Jason Stearns a traité de la manière de venir à bout des groupes armés dans le cadre d’une démarche descendante en soulignant trois points clés : premièrement, étant donné que les groupes armés sont de plus en plus mobilisés et utilisés par les réseaux d’élite plutôt que par les communautés locales, leurs réseaux de soutien doivent impérativement être démantelés. L’identité des individus à la tête des groupes armés est souvent notoire mais, souvent, rien n’est fait pour les amener devant les tribunaux. D’après Jason Stearns, il faudrait qu’ils soient arrêtés pour que l’on puisse mettre un terme à cette culture de l’impunité.
Deuxièmement, les efforts de démantèlement des groupes armés devraient mettre l’accent sur les principaux mouvements rebelles tels que le M23, les FDLR, l’ADF/NALU et les FNL. Leur démantèlement définitif contribuerait fortement à désamorcer la crise dans l’est du pays.
Troisièmement, les bailleurs de fonds devraient délaisser leur démarche technocratique à l’égard de la poursuite des violences dans l’Est. Si le mandat confié à la force onusienne de maintien de la paix, à savoir sauvegarder le processus de paix pendant la période de transition, a conféré à la MONUC un rôle politique, il est important de souligner qu’après les élections de 2006, la RDC a été qualifiée d’État post-conflit et que la stratégie de la MONUC est devenue purement technocratique en se concentrant sur la stabilisation des capacités de l’État par le biais du Programme de stabilisation et de reconstruction des zones sortant des conflits armés (STAREC) et de la Stratégie internationale de soutien à la sécurité et la stabilisation (ISSSS ou I4S). Mais le conflit dans l’Est s’est poursuivi. Pour modifier cette approche, il est primordial que les bailleurs de fonds s’engagent sur un plan politique.
Koen Vlassenroot a analysé la nécessité de venir à bout des groupes armés au moyen d’une stratégie ascendante. Il a émis quatre observations à cet égard :
Premièrement, depuis la signature de l’accord de paix, le nombre de groupes armés a augmenté, ce qui montre que cet accord n’a pas réussi à résoudre les griefs existants relatifs au foncier, à l’échec de l’intégration de l’armée et à la démobilisation.
Deuxièmement, on constate de très importantes divergences d’un groupe armé à l’autre—intérêts, objectifs, stratégies et rôles socioéconomiques. Certains groupes adoptent ainsi des structures quasi-étatiques, d’autres interviennent au niveau de la justice locale, d’autres encore obtiennent le soutien de chefs coutumiers en défendant leur communauté locale, et d’autres enfin établissent un racket de protection et s’apparentent ainsi à des gangs criminels.
Troisièmement, il est indéniable que dans de tels contextes, où la présence de l’État est rare, ces groupes constituent une forme de gouvernance privatisée. Cependant, ces groupes armés ne sont pas juste un phénomène local mais—comme nous l’avons vu—ils sont liés aux réseaux d’élite régionaux.
Quatrièmement, les efforts de consolidation de la paix, au lieu de venir à bout des griefs existants, n’ont fait qu’exacerber le conflit, tandis que ses causes profondes telles que l’accès au foncier et la citoyenneté, la coexistence ethnique et la gouvernance des ressources ont à peine été abordées.
Il est important de tenir compte de ces quatre points pour élaborer une stratégie de paix complète et multidimensionnelle. Chaque groupe armé doit faire l’objet d’une stratégie adaptée, car certains sont un facteur de violence alors que d’autres en sont la conséquence. La résolution des conflits au niveau local ne sera possible qu’à condition d’intégrer cette démarche dans un processus de paix plus large.
« Les groupes armés se sont détachés des communautés locales, lesquelles ne sont plus en mesure de les contrôler comme elles avaient pu le faire par le passé. »
Koen Vlassenroot a mis en évidence trois priorités pour venir à bout de ces conflits locaux :
Premièrement, il faut réduire le nombre de griefs autour du foncier. Plusieurs initiatives sont déjà en place qui mettent l’accent sur la médiation, la protection juridique et l’assistance. Bien qu’elles soient positives au niveau des individus et à court terme, leur impact sur les causes structurelles des conflits fonciers est limité. Il ne sera possible d’en venir à bout qu’à condition de prendre en compte les aspects collectifs et intercommunaux. Ce genre d’initiatives devrait dépasser le cadre local et permettre de réclamer une réforme foncière nationale.
Deuxièmement, il est crucial d’investir dans la réconciliation intercommunale. Ici aussi, de nombreuses initiatives ont été lancées. Citons l’exemple des « barzas », un espace financé par l’État et dédié à la réconciliation par le dialogue. Cependant, les participants ne sont pas toujours des représentants légitimes de leurs communautés et il arrive que les barzas jouent eux-mêmes un rôle dans le conflit. Si les initiatives menées à l’échelon local ont tendance à être plus représentatives, il est important que ce type d’efforts en faveur du dialogue fasse intervenir de véritables dirigeants issus des différentes communautés. Les bailleurs de fonds devraient leur apporter un soutien coordonné et cohérent et éviter que les différentes initiatives ne soient mises en concurrence.
Enfin, Koen Vlassenroet a fait valoir que la réussite de toute stratégie politique dans l’est de la RDC dépendait de l’existence d’un État responsable. Outre le renforcement des capacités locales, un investissement dans des institutions étatiques responsables et transparentes est essentiel.
Judith Verweijen a abordé la question de la réforme de l’armée congolaise. L’armée étant une institution très complexe, Judith a expliqué qu’elle se limiterait à en décrire deux dimensions. La première de ces dimensions est la gestion de l’intégration des groupes armés. La RDC n’est pas le seul pays dans lequel une politique de ce type est appliquée sur la durée. Comme l’indiquent les exemples du Burundi et de l’Afrique du Sud, cette politique peut marcher si elle est bien gérée et si elle se limite à une intégration unique.
Mais la bonne gestion a fait défaut en RDC où, par exemple, aucune condition stricte n’a été imposée aux candidats à l’intégration. Si cette politique d’intégration doit se poursuivre, il faudra l’améliorer, surtout en garantissant la promotion au mérite et la formation des troupes récemment intégrées.
Judith a fait remarquer que les négociations avec les groupes armés s’étaient pratiquement toutes déroulées à huis clos. L’Assemblée nationale ou les autres organes ont donc du mal à contrôler ce processus. Les accords devraient par conséquent être plus transparents. En outre, le problème de l’impunité doit être résolu. Même si, à court terme, les amnisties sont propices à la paix, elles ne constituent pas une solution durable : l’impunité met à mal la crédibilité du gouvernement et laisse entendre que les instigateurs de rébellions seront récompensés. La difficulté consiste donc à convaincre les chefs rebelles d’abandonner leurs armes sans pour autant les récompenser par une amnistie.
Judith Verweijen a également souligné que les troupes intégrées devraient être soigneusement réparties tant au sein des unités que sur le plan géographique. Un processus graduel de redéploiement contrecarrerait la création de chaînes de commandement parallèles. Mais, selon elle, il vaudrait sans doute mieux abandonner la politique d’intégration à long terme au profit de solutions alternatives permettant le démantèlement des groupes armés par le biais du processus de DDR ou de conférences de paix décentralisées, qui pourront se pencher sur les spécificités de chaque groupe armé.
La seconde dimension que Judith Verweijen a mise en évidence est la politique des ressources humaines et plus spécialement les conditions sociales. La réforme de l’armée doit commencer simultanément par le haut et par le bas de la hiérarchie. Il est crucial pour la réussite de la réforme que les soldats de bas échelon en retirent de réels avantages. Citons notamment l’amélioration des conditions de vie des soldats et de leurs familles, une hausse des salaires et un meilleur accès aux services de santé et aux bénéfices sociaux tels que les congés payés. À l’heure actuelle, les conjoints et les familles des soldats les rejoignent au front, où ils vivent dans des conditions déplorables. L’autre difficulté est celle des soldats suffisamment âgés pour partir en retraite mais qui n’ont pas droit à une pension. Il est crucial de résoudre ces problématiques pour motiver les troupes et encourager leur loyauté envers leurs supérieurs. La réforme de l’armée devrait être mise en œuvre à tous les niveaux de l’armée et tous ses membres devraient en bénéficier.
Jason Stearns a souligné trois points dont les bailleurs de fonds devraient tenir compte en matière de réforme de l’armée : les efforts des bailleurs de fonds ont tendance à mettre l’accent sur des unités militaires spécifiques, par exemple des bataillons. Si celles-ci peuvent être bien formées, leur impact est limité une fois qu’elles sont réinsérées dans la structure globale de commandement de l’armée. Seule exception, la Mission de conseil et d’assistance de l’Union européenne en matière de réforme du secteur de la sécurité en République démocratique du Congo (EUSEC), qui a cherché à améliorer la structure de commandement. Néanmoins, il faut encore améliorer la coordination entre le gouvernement congolais et les bailleurs de fonds.
Une seconde série d’initiatives a porté sur l’instauration de tribunaux itinérants au Sud-Kivu pour poursuivre les auteurs présumés de violences sexuelles. Malgré un certain succès, leur utilité est limitée par la durée du financement des projets. Il est primordial d’institutionnaliser ces initiatives ainsi que les démarches similaires. La communauté des bailleurs de fonds devrait mieux coordonner ses efforts dédiés à la réforme de l’armée et accroître les montants qu’elle lui octroie.
Jason Stearns a conclu en soulignant que l’objectif du Projet Usalama n’était pas d’émettre des recommandations politiques mais d’encourager un débat sur les questions relatives aux groupes armés et à l’armée nationale.
Discussion
L’honorable François Kasende Kandolo, président de la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée nationale, a remercié l’Institut de la Vallée du Rift, son Projet Usalama et ses chercheurs pour leurs travaux qui, a-t-il précisé, permettront aux députés de légiférer en faveur d’une paix durable.
L’honorable Juvénal Munubo, membre de la Commission Défense et Sécurité et rapporteur de la sous-commission sur les forces armées, a demandé que des travaux de recherche similaires soient consacrés aux facteurs à l’origine de la défaite du M23. Concernant la question de la réforme de l’armée, il a identifié certaines contraintes, à commencer par le manque de moyens financiers. Un mécanisme de surveillance, similaire à celui qui a été mis en place pour la police, serait également nécessaire pour accroître la transparence des efforts de transparence et faciliter le suivi des progrès.
En référence aux groupes armés, il a observé que certains n’avaient pas été inclus dans le Projet Usalama, comme les Nyatura, l’APCLS et les Maï-Maï Cheka. Un processus plus efficace de Désarmement, Démobilisation et Réintégration (DDR) serait nécessaire pour démanteler ces groupes et d’autres groupes armés. D’autres aspects du processus de paix ont également besoin d’être renforcés, notamment la protection des civils : « Ne croyez-vous pas », a-t-il demandé, « que si l’on ne s’occupe pas des FDLR, cela restera un prétexte pour une intervention du Rwanda dans l’Est et constituera un facteur de contre-mobilisation contre elles ? »
« Le problème des FDLR », a-t-il précisé, « exige une solution définitive. Mais la solution est-elle uniquement d’ordre militaire ? Un accord global marqué par un rapprochement entre Kigali, Kinshasa et Kampala ne pourrait-il pas avoir des effets positifs ? Je pense que si. »
Jason Stearns a répondu qu’il était d’accord avec lui ; d’autres études devraient effectivement être consacrées aux groupes armés, dont certains n’avaient pas été abordés par le Projet Usalama en raison de son champ d’application restreint. Concernant les FDLR, Jason a convenu que c’est à ce groupe qu’il faudrait ensuite s’attaquer, après le M23, et pas seulement en termes militaires—même s’il est pratiquement impossible de négocier avec le Rwanda sur ce sujet. Mais il existe des solutions alternatives, par exemple permettre à ses chefs de s’exiler, étant donné que la majorité d’entre eux ne sont pas l’objet d’un mandat de la CPI. Quant aux pourparlers entre Kigali, Kinshasa et Kampala, cette idée a été proposée par l’Envoyé spécial américain Russ Feingold qui s’est dit favorable à la clôture des pourparlers de Kampala et à ce que l’accent soit placé sur des discussions régionales afin de venir à bout des causes profondes du conflit dans l’est de la RDC.
Omar Kavota, avocat et porte-parole de la société civile du Nord-Kivu, a demandé si les rapports du Projet Usalama jetaient une lumière sur le rôle de l’Ouganda dans le conflit dans l’est de la RDC. Il souhaitait savoir si l’ADF/Nalu ferait l’objet de recherches vu la hausse des activités de ce mouvement au Nord-Kivu et ses liens présumés avec al-Shabaab. L’honorable Anselme Enerunga, député à l’Assemblée nationale, s’est lui aussi dit préoccupé par le fait qu’outre tous les conflits actuels, il existe désormais un risque que des organisations terroristes ne s’étendent à l’Est. Omar Kavota a demandé si les travaux de recherche du Projet Usalama avaient également évalué l’impact des différentes offensives militaires de l’armée congolaise et de la force de maintien de la paix de l’ONU sur la population civile. Il a demandé si, maintenant que la brigade d’intervention était déployée, les Casques bleus de la MONUSCO, qui ne participaient pas aux combats, ne pourraient pas être retirés et si les fonds qui leur étaient destinés ne pourraient pas être réaffectés à la réforme de l’armée congolaise.
En réponse à la question sur le rôle de l’Ouganda, Jason Stearns a expliqué que le premier rapport du Projet Usalama avait réuni des éléments qui démontraient la présence d’un soutien ougandais envers le M23 en 2012. Cela reste une question importante qui mériterait des travaux supplémentaires.
« Dès que tous les Congolais paieront leurs impôts, le gouvernement aura les moyens de réformer l’armée. »
Concernant l’impact des offensives militaires, Judith Verweijen a expliqué que, d’un côté, celles-ci avaient provoqué une catastrophe humanitaire et qu’elles n’avaient pas toujours réussi à affaiblir les groupes armés. (Les FARDC ne disposaient pas des capacités logistiques leur permettant d’occuper le territoire conquis, qui avait ensuite été repris par les groupes armés, lesquels avaient lancé des attaques de représailles contre la population dès le départ de l’armée.) D’un autre côté, les offensives avaient effectivement réussi à repousser les FDLR en dehors des sites miniers et à les affaiblir considérablement. La question de savoir si cette réussite militaire avait justifié de telles répercussions humanitaires restait ouverte à discussion. Les opérations ont ainsi montré que la protection des civils doit dès le départ être entièrement intégrée dans la planification opérationnelle des offensives militaires. Bien qu’une unité civilo-militaire ait été établie en 2011, ses membres ne sont pas encore totalement inclus dans la planification opérationnelle.
Alpha Mukadi, journaliste de Congo Web TV, a demandé à Judith Verweijen de fournir plus de précisions sur les conditions dans lesquelles les groupes armés pourraient être intégrés dans l’armée si l’on voulait s’assurer qu’ils ne désertent pas pour ensuite renégocier de meilleures modalités.
Judith Verweijen a répondu que dans certains autres pays, les politiques d’intégration avaient mieux fonctionné et que, dans ces cas, l’armée avait fermé ses portes après la première vague d’intégration. En RDC, a-t-elle précisé, cette porte est restée ouverte bien trop longtemps. C’est cette politique qui permet aux rebelles intégrés de faire désertion pour ensuite se réintégrer, ce qui constitue l’un des facteurs à l’origine de la mobilisation armée dans l’est du pays. Une autre condition pourrait être d’exiger que chaque groupe armé abandonne ses caches d’armes. La plupart des accords de négociation ne contiennent pas de dispositions de ce type.
Plusieurs participants ont soulevé la question du rôle des entreprises multinationales dans le conflit. Jonas Tshombela, coordonnateur de la Nouvelle Société Civile, Chantal Faida, analyste et membre de la société civile du Nord-Kivu basée à Goma, et Julienne Lusenge, présidente de l’association SOFEPADI basée à Beni et Bunia qui promeut les droits des femmes, ont ainsi demandé pourquoi les multinationales n’avaient pas été mentionnées pendant les présentations comme étant des moteurs du conflit. Julienne Lusenge a souligné qu’il existe des preuves de leur complicité dans le conflit. Chantal Faida a quant à elle demandé qu’une liste des entreprises soit dressée et qu’elles soient traduites en justice, tandis que Jonas Tshombela a évoqué la grande quantité d’armes en circulation dans la région, et ce, alors qu’aucun pays d’Afrique centrale ne fabrique d’armes. Daniel Ruiz, responsable de la division des Affaires politiques de la MONUSCO, a demandé pourquoi il n’existe pas d’analyses économiques plus complètes du conflit dans l’Est, en dehors des rapports du Groupe d’experts de l’ONU, qui permettraient d’identifier ceux qui profitent de la guerre. Fabien Lumbala, journaliste à Télé50, a demandé si le Projet Usalama avait des suggestions pour mettre fin à la complicité des multinationales dans le conflit dans l’est du pays.
Jason Stearns a répondu que les entreprises multinationales jouent effectivement un rôle dans le conflit. Par exemple, elles sont tenues de s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement ne contiennent pas de minerais du conflit, obligation qu’elles ne respectent pas toujours. Cependant, si les minerais sont un facteur clé dans la poursuite du conflit dans l’est du pays, ils n’en sont pas la cause. Si les multinationales voulaient exploiter les ressources de l’Est, elles le feraient non pas en exploitant les mines artisanales, mais les mines industrielles, comme cela est le cas au Katanga où les entreprises sont directement impliquées dans des activités commerciales illégales avec le gouvernement congolais. Pour qu’une activité minière industrielle puisse être possible dans l’Est, les entreprises auraient besoin de stabilité politique. Tant qu’il n’y aura pas de stabilité politique, seules quelques-unes d’entre elles seront prêtes à opérer dans les Kivus.
Il a reconnu que plusieurs individus profitent du conflit, en faisant toutefois valoir qu’il était important d’établir une distinction entre ceux qui en profitent indirectement et ceux qui sont les instigateurs directs du conflit et le perpétuent. Il a conclu en déclarant que les travaux du Groupe d’experts de l’ONU identifient les individus qui profitent du conflit, tandis que les rapports du Projet Usalama analysent les causes profondes du conflit. À cet égard, ces travaux se complètent.
Koen Vlassenroot a ajouté qu’il existe des initiatives dont l’objectif est d’instaurer la transparence et la diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement des multinationales, certaines de ces initiatives étant soutenues par les entreprises. L’UE est en train de mettre en œuvre une législation aux objectifs similaires.
Judith Verweijen a fait remarquer que deux opérateurs miniers étrangers étaient en concurrence pour la mine de pyrochlore de Lueshe, au Nord-Kivu, chacun d’entre eux négociant avec un réseau différent au sein de l’armée. Dans le cas de la mine d’or de Mukungwe à Walungu, au Sud-Kivu, deux unités FARDC avaient été mobilisées par des parties civiles pour obtenir un accès à la mine. Cependant, ces parties n’étaient pas des sociétés multinationales mais des familles locales—l’une des familles était celle de chefs coutumiers, et l’autre, celle de personnes qui se disaient propriétaires du terrain. Cela montre que la dynamique de la militarisation du conflit est la même quelle que soit la nationalité des acteurs de la mobilisation. Au Sud-Kivu, la majorité de l’économie minière est régionale, a-t-elle précisé. Les échanges commerciaux se font avec des hommes d’affaires burundais et tanzaniens et non pas avec des sociétés multinationales. Ces dernières se situent tout au bout de la chaîne d’approvisionnement, ce qui fait qu’elles jouent un rôle indirect, et non pas direct, dans les violences perpétrées dans l’est de la RDC.
L’honorable Anicet Teganyi, député du territoire de Walungu à l’Assemblée provinciale, a fait savoir à l’auditoire que dans le cas de la mine d’or de Mukwenge, un accord octroyant la mine à la compagnie minière canadienne Banro avait été conclu entre le gouvernement congolais et les deux familles. Les autorités du Walungu n’avaient pas été impliquées dans cet accord. Cette mine compte plus de 10 000 creuseurs artisanaux. Teganyi a précisé qu’il craignait que ces creuseurs ne rejoignent désormais les rangs de groupes armés pour accroître leurs revenus.
Chantal Faida a demandé si des groupes comme les Raïa Mutomboki qui affirment défendre les communautés locales et protéger les civils des exactions des FDLR et d’autres groupes avaient certains aspects positifs.
Koen Vlassenroot a répondu que lors des conflits du début des années 1990, tels que la guerre de Masisi en 1993, des groupes armés étaient apparus pour se substituer à la protection étatique. Malgré une certaine manipulation politique, ces groupes affichaient généralement un degré élevé de légitimité. Là où l’État est absent, ils peuvent combler le vide. Cependant, les moyens par lesquels ils apportent une sécurité posent problème. Ils sont en effet de plus en plus détachés des communautés locales, lesquelles ne sont plus en mesure de les contrôler comme elles avaient pu le faire par le passé.
Paulin Cimanga, avocat et représentant du RRSSJ au Kasaï Oriental, a déclaré que la nécessité d’inclure les groupes armés dans le processus d’intégration ou de les en exclure était conciliable avec le maintien de l’autorité de l’État et le principe de l’impunité.
Judith Verweijen a confirmé que cette tension entre intégration et impunité pose un dilemme : comment les groupes armés peuvent-ils être incités à déposer les armes si on ne leur offre pas la possibilité de ne pas être traduits en justice ? Dans l’idéal, les rebelles qui ont commis de graves atteintes aux droits humains devraient être exclus. Mais, dans la pratique, cela reste difficile.
Mick Mutiki, représentant du RSSJ au Sud-Kivu, a demandé s’il serait nécessaire de réformer d’autres parties du secteur de la sécurité pour assurer l’efficacité de la réforme de l’armée.
Judith Verweijen a convenu que la réforme de l’armée ne pourrait avoir lieu sans tenir compte d’autres aspects du secteur de la sécurité tels que la police et le système judiciaire.
L’honorable Gilbert Ngongo, député Sud-Kivu à l’Assemblée provinciale, a demandé aux bailleurs de fonds ici présents de soutenir le gouvernement congolais dans ses efforts visant à consolider l’autorité de l’État et à mettre fin au conflit.
Noël Obotela Rashidi, responsable du Centre d’études politiques de l’Université de Kinshasa, a corroboré l’analyse de Judith Verweijen. Les conditions sociales des soldats congolais sont déplorables et doivent être améliorées, a-t-il déclaré. Il est difficile de trouver des statistiques fiables sur l’armée. Il a demandé à l’honorable Kasende Kandolo pourquoi le gouvernement n’était pas capable de fournir à l’armée les moyens d’assurer la sécurité nationale.
L’honorable Kasende Kandolo a répondu que dès que tous les Congolais paieraient leurs impôts, le gouvernement aurait les moyens de réformer l’armée efficacement.
Zaurati Nasibu, Point focal à Kinshasa de l’Institut Vie et Paix, a demandé que l’on explique le soutien déclinant des Banyamulenge à l’égard des groupes armés soutenus par le Rwanda.
En conclusion, Jason Stearns a déclaré que les difficultés croissantes que le Rwanda rencontre dans la mobilisation de groupes armés au Nord-Kivu sont dues au fait que la communauté rwandophone de la province a l’impression de se faire exploiter par le gouvernement rwandais.