Un chef coutumier abattu : des spéculations à la crise sociopolitique en groupement de Kalonge, territoire de Kalehe

On 10 May 2013, Teso Ntarubibi, the village chief of Chifunzi, located in Kalonge groupement (in Kalehe territory, South Kivu province) was assassinated. The murder plunged Kalonge into a severe crisis and promoted the mobilization of armed groups, yet those who killed the mwami remain unidentified. In this blog, Emery Mudinga analyses four hypotheses concerning the assassination of Teso Ntarubibi. He concludes that the succession contest over the throne of the groupement is not the source of the conflicts that plague Kalonge. Rather than customary power, a general socio-political crisis that—in part—results from the 2006 elections and has unsettled the local power balance, is responsible for the recent tensions. Recognizing the profoundly political rather than customary nature of the current crisis, which is further exploited and used as a strategy in the lead-up to the coming elections, will be crucial for any efforts to help defuse it.
 

Mwami Nakalonge (deuxième à partir de la gauche) en viste de courtoisie auprès du Mwami de Kabare (Kabare, janvier 2016)Vendredi 10 mai 2013 à 23 heures mourrait assassiné par balles Teso Ntarubibi, chef du village Chifunzi en groupement de Kalonge, territoire de Kalehe. L’infortuné était une des grandes personnalités de la famille royale Nakalonge régnant sur Kalonge. Son assassinat ne tardât pas à créer la panique dans le milieu. De centaines de familles décidèrent de quitter le milieu pour se réfugier à Kabare, Kalehe et dans la ville de Bukavu craignant un retournement de situation au niveau local. Entretemps, une forte mobilisation des jeunes proches de Teso s’observa à Chifunzi. Elle déboucha à l’identification, la traque et la destruction des maisons des personnes soupçonnées proches des ennemis de feu Teso. En plus, des barricades furent érigées contre des ressortissants du village de Rambo, fief du député provincial Théophile Mirindi. Ce dernier était présenté comme l’ennemi numéro un de Teso suite aux problèmes qui les opposaient déjà au sujet de la gouvernance du village de Chifunzi, à d’anciens conflits internes au sein de la famille royale (dans lequel Teso avait joué un grand rôle) et des enjeux politiques locaux liés aux élections. Cet assassinat replongea Kalonge dans une grande crise sociopolitique dont les conséquences restent palpables jusqu’à ce jour. L’une d’entre elles aura été la mobilisation des groupes armés et des jeunes dans le processus conflictuel, semant ainsi davantage de frustration et l’insécurité au niveau local.
 

Les hypothèses de l’assassinat

Si la situation est restée floue jusqu’à ce jour, les hypothèses qu’on avance au niveau local sont de quatre ordres. La première hypothèse, celle qui fut vite avancée et instrumentalisée par la famille de la victime, désignait le député provincial Théophile Mirindi comme le commanditaire direct de cet assassinat. Personne n’a jamais réussi à le prouver. Mais les tenants de cette hypothèse avancent au moins deux arguments.

Le premier soutient que ce sont les conflits permanents qui opposaient déjà ce député à feu Teso : ingérence dans les conflits fonciers des personnes proches de la famille Mirindi, rôle dans le conflit opposant Mirindi (le père) au Mwami Nakalonge Masonga Mpagama II, implication dans l’anéantissement de l’Union des Jeunes de Kalonge/UJEKa, un mouvement créé dans la décennie 90 par les fils de Mirindi et qui s’illustra par la déstabilisation du pouvoir de Nakalonge, etc. Profitant de sa position de député provincial et vice-président de l’assemblée provinciale du Sud-Kivu, Théophile Mirindi réussit à obtenir en 2010 la suspension ainsi que l’emprisonnement de Teso Ntarubibi ainsi que de Byakumbwa Nyamulinda et Bahizire Mbekenguma, eux aussi chefs de villages et membres de la même famille royale. La libération au cours de la même année de ces trois chefs de village et leur réhabilitation à la tête de leurs villages respectifs par l’Administrateur du Territoire de Kalehe (via le chef de poste d’encadrement administratif) n’auraient pas été bien digérés par le député Théophile Mirindi. Le conflit est resté très ouvert surtout que ces trois chefs de village, conduit principalement par Teso Ntarubibi, mobilisaient la masse paysanne contre la façon dont Théophile Mirindi adressait les questions de gouvernance et de stabilité au niveau local. Compte tenu de ces démêlés, les trois chefs de villages se rangèrent derrière d’autres candidats députés non seulement pour obtenir sa déchéance à l’assemblée provinciale du Sud-Kivu mais aussi pour s’assurer qu’il ne fut plus réélu comme député en 2011.

Le deuxième argument sur lequel tient cette hypothèse est qu’au lendemain de l’assassinat de Teso, tous les auteurs présumés furent accueillis et logés chez le député Théophile Mirindi en commune de Bagira à Bukavu. Ce dernier s’était également déployé pour les assister auprès des instances policières et du parquet de Kavumu, attitude qui amenait les gens à renforcer leurs soupçons à son égard. Pourtant un autre regard analysait son attitude comme relevant de l’obligation de tout député à défendre ses électeurs lorsqu’il estime qu’ils sont injustement accusés de quoi que ce soit.

La deuxième hypothèse posait que la femme du défunt Mwami Nakalonge Mpagama II (mort en novembre 2012) serait liée à cet assassinat. Les tenants de cette hypothèse soutiennent que cette femme cherchait à faire taire Teso, la personne la plus influente de la famille royale qui contrecarrerait son fils Chirindja Nakalonge dans le processus de succession de son père au trône de Kalonge en lieu et place du successeur actuel, monsieur Joseph Charhangabo Nakalonge.

La troisième hypothèse qui se rattache à la deuxième pose que Teso Ntarubibi serait victime d’un complot concocté par le député Théophile Mirindi, la femme du défunt Mwami Nakalonge et des personnes proches de ces deux personnalités. On explique cela par deux éléments. Premièrement, Teso Ntarubibi faisait déjà ombrage à l’épanouissement politique du député Théophile Mirindi (et de son frère Grégoire Mirindi, un député national). L’alliance de Teso avec les adversaires politiques de la famille Mirindi faisait déjà douter ces deux députés d’une possibilité de réélection en 2011. Ceci fut réellement vécu lorsqu’en 2011, Grégoire Mirindi obtint presque la moitié des voix obtenues par Baguma Saidia, candidat soutenu par Teso et les autres chefs de village précités. Même si, faute de son mauvais positionnement sur sa liste, Baguma Saidia ne put passer député national, le soutien qu’il obtint localement témoignait du poids et de la capacité de Teso à influencer le paysage politique local et reconfigurer les enjeux locaux. En réalité, le charisme de Teso et son alliance avec les autres chefs de village mécontents ainsi que d’autres acteurs politiques locaux en recherche de positionnement, constituaient une réelle menace pour les députés de la place. Deuxièmement, on semble soutenir que la femme du défunt Mwami Nakalonge se sentait anéantie étant donné qu’avec la présence de Teso dans le village de Chifunzi où elle habitait, celle de Joseph Charhangabo Nakalonge au trône, l’anéantissement des députés et l’émergence d’une nouvelle élite politique totalement en désaccord avec elle pourraient probablement diminuer son autorité. En outre, Teso Nakalonge aurait été considéré comme un élément gênant car avec son pouvoir, ses connexions politiques, sa maitrise des dossiers de la famille royale, sa capacité de mobilisation ajouté au soutien politique qu’il avait accumulé auprès de ses alliés, surtout son alliance avec le jeune Mwami Joseph Charhangabo Nakalonge, le mettaient en ordre utile pour gérer indirectement le groupement Kalonge.

Une dernière hypothèse qui n’a pas fait long feu soutient que Teso aurait été assassiné à cause d’un conflit foncier dans lequel il serait impliqué depuis quelques années dans l’un de ses sous-villages à savoir Mutale/Bugaru. Si cette hypothèse n’a pas été suffisamment développée, il n’en reste pas moins que le chef de village de Chifunzi était toujours reproché pour son implication dans des dynamiques foncières conflictuelles dans son entité. C’est le cas du conflit foncier opposant Byataha à Kalulu dans le sousvillage de Mutale/Mukenzi, celui de Sauti Ngwasi contre Murhezi à Murhobo ou celui de Mungirima contre Bihama à Lushenyi.
 

Déconstruire les discours sur la conflictualité actuelle de Kalonge après la mort de Teso

Si des hypothèses ont été avancées, la vérité sur l’assassinat de Teso Ntarubibi n’a jamais été élucidée. Néanmoins, cette mort a réellement plongé le groupement de Kalonge dans une situation de crise sociopolitique, recréant des clivages au sein de la population. Ces clivages se nourrissent davantage de l’instrumentalisation de la situation par les acteurs politiques qui trouvent là une opportunité de positionnement. Alors que des tentatives de dénouement ont été initiées par plusieurs acteurs, les enjeux électoraux ont amené certains acteurs politiques à se servir de la crise locale comme un discours de légitimation de leur candidature ou de délégitimation d’autres candidats députés. 

La crise actuelle de Kalonge a été analysée à tort comme un conflit de pouvoir coutumier, c’est-à-dire opposant des acteurs autour de la gestion d’une entité traditionnelle. Il n’en est rien de cela. Certes, Kalonge a connu un conflit de gestion du pouvoir coutumier à la mort du Mwami Joseph Cihyoka en 1934. Des turbulences s’en sont suivies au sein de la famille royale jusqu’au début des années 1990 lorsque des violences ont couronné plusieurs décennies de contestation entre les fils de Nakalonge. Officiellement, la réconciliation du Mwami Nakalonge Masonga Mpagama II et la famille Mirindi Nakalonge a eu lieu en 2005. Contrairement à la situation qui sévit dans la collectivité-chefferie de Buloho, particulièrement en groupement de Kalima (Kalehe) ou dans la chefferie de Nindja en territoire de Kabare, le conflit dans le groupement de Kalonge ne peut être analysé dans le prisme du pouvoir coutumier. Me basant sur les anciens développements du contexte politique et social du groupement de Kalonge, je postule qu’il n’existe plus de conflit de gestion du pouvoir coutumier dans le groupement de Kalonge. Il existe plutôt une crise sociopolitique qui s’appuie sur d’anciennes bouderies au sein de la famille royale et des changements politiques intervenus depuis les élections nationales de 2006 ayant reconfiguré les équilibres locaux. La situation conflictuelle actuelle de Kalonge est un passage des luttes de pouvoir vers une crise sociopolitique. Certes, l’implication personnelle du Mwami Joseph Charhangabo Nakalonge dans la crise actuelle rappelle les années 1970-1990 lorsque son père le Mwami Nakalonge Masonga Mpagama II était opposé à Christophe Mirindi (père de Théophile Mirindi), mais les enjeux sont différents aujourd’hui et doivent être analysés comme strictement politiques et non comme relevant d’un conflit de pouvoir coutumier. Penser des solutions à une telle situation exige de ne pas se laisser piéger par la rhétorique du conflit coutumier qui, au stade actuel, semble plus relever d’une stratégie électoraliste plutôt que d’une conviction basée sur des faits réels. Il n’y a plus de conflit de gestion du pouvoir coutumier à Kalonge comme certains continuent dangereusement de qualifier la crise sociopolitique qui y sévit. Une telle analyse ne fait rien d’autre que passer à côté des vrais problèmes de cette entité.

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