Recrutement des miliciens en période pré-électorale : le cas des Raïa Mutomboki à Bunyakiri

In the course of 2015, recruitment for certain factions of the Raia Mutomboki armed group intensified in the area of Bunyakiri, located in Kalehe territory in the province of South Kivu (Democratic Republic of the Congo). In this blog, Lebon Mulimbi suggests that the reasons for this recent upsurge in recruitment are primarily to be found in the current political context shaped by the upcoming national elections. The ensuing fierce political competition reinforces the use of radical ethnic discourses, which in turn have spread fears among local communities and notably among the Batembo. They worry about the potential ‘invasion’ of Bunyakiri by members of other ethnic groups or neighbouring countries. Such discourses should be understood in the context of the long-standing demands of the Batembo for the creation of Bunyakiri as a territory independent of Kalehe. Furthermore, certain Batembo politicians denounce the alleged political exclusion of the Batembo at both lower and higher levels of decision-making, despite the fact that, during the transition period (2003-2006), the Batembo did occupy a number of important political posts as, for example, provincial and national ministers. Therefore, for certain Batembo politicians, supporting Raia Mutomboki factions serves as an alternative means to advance political ends. Similarly, a number of local authorities support them as a way of reinforcing their position in conflicts related to land and customary power. In conclusion, the case of Bunyakiri illustrates how armed groups are manipulated for political purposes. This highlights the need to address political issues such as inter-community tensions and perceived political exclusion in any efforts to defuse armed mobilization.
 

Depuis presque deux décennies, l’est de la République démocratique du Congo fait l’objet d’une recrudescence de groupes armés. Parmi les éléments qui illustrent l’activisme de ces groupes figure le recrutement de nouveaux miliciens, particulièrement à Bunyakiri (territoire de Kalehe/Sud-Kivu). Ce blog tente d’éclairer la recomposition du groupe armé Raïa Mutomboki dans cette zone.

Parmi les nombreux groupes armés opérant à Bunyakiri, on dénombre des miliciens se réclamant du groupe Raïa Mutomboki (« le peuple est en colère »). Alors que ce groupe était déjà actif dans le territoire de Shabunda depuis 2010, il s’étendit à Bunyakiri en 2012[1]. Jusqu’en 2014, il fut très actif à Bunyakiri et ses environs. C’est en ce moment qu’il se prévalut d’avoir chassé les Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) opérant à et dans les environs de Bunyakiri. A partir d’août  2014, les Raïa Mutomboki firent face à des attaques des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), engagées dans l’opération de traque des groupes armés. Par la suite, une petite accalmie s’observa début 2015, permettant aux populations civiles de vaquer à leurs activités quotidiennes mais, en même temps, offrant aux Raïa Mutomboki l’opportunité de se réorganiser.

Au cours de l’année 2015, un mécanisme de sensibilisation fut mis en place par le conseil local de sécurité de Bunyakiri afin que les Raïa Mutomboki remettent les armes, mettent un terme aux tracasseries envers les populations civiles, rejoignent les FARDC, et se démobilisent ou réintègrent la vie civile.

Au cours d’une visite de terrain à Bunyakiri en octobre 2015, il fut observé que, plutôt que de déposer les armes, le groupe Raïa Mutomboki s’était fragmenté en différentes factions, mettant de ce fait en péril le processus de désarmement. Au terme de cette fragmentation, certains chefs miliciens se réclamaient jouissant d’une certaine autonomie par rapport au groupe Raïa Mutomboki dans sa structure originelle. Ceux-ci procédèrent, de ce fait, à une nouvelle vague de recrutement des jeunes miliciens à Bunyakiri, ciblant même des mineurs dans le but, vraisemblablement, de gonfler leurs effectifs.

A Bunyakiri, de nouvelles factions Raïa Mutomboki ont ainsi vu le jour et quelques centres de recrutement ont été installés çà et là. L’un d’entre eux se trouve à Kauma/Kachiri dans le groupement de Mubuku. Ce centre serait commandé par Mwiindja Butachibera, un ancien chef milicien Raïa Mutomboki, jadis opérant dans l’axe Mubuku entre 2012 et 2013. Pas surprenant que Mwiindja, qui fut déjà un ancien Maï-Maï dans le groupe dirigé en 1996 par Padiri Bulenda (aujourd’hui général dans les FARDC), s’est déjà autoproclamé général, suivant l’exemple d’autres chefs miliciens de l’est de la RDC.

Trois autres centres de recrutement sont opérationnels dans trois villages du groupement de Kalima. Le premier est basé à Mutorotoro, sous le commandement de Shukuru Enamae. Le second, commandé par Bwaare Hamakombo, opère à Ekingi et le dernier centre se trouve à Lukando sous le commandement de Mungoro Matafali. Tous ces commandants sont d’anciens rebelles Maï-Maï entrés des années 1996.

Etant donné cette multiplication de différentes factions opérant chacune de façon autonome, il est évident que ce sont les populations civiles qui en payent un lourd tribut. Elles sont également sommées à payer un ‘effort de guerre’, en termes de taxes illégales collectionnées dans des marchés locaux, par des coupeurs de route ou sous la forme de contribution en vivres pour nourrir les miliciens.
 

Comprendre la résurgence milicienne

Il est fort probable que les évolutions politiques actuelles en RDC sous-tendent la dynamique de recrudescence des milices, particulièrement des Raïa Mutomboki, à Bunyakiri et ses environs. Selon plusieurs témoignages, les agitations observées en rapport avec le processus électoral en fait preuve. En effet, certains acteurs politiques de Bunyakiri, et de Kalehe en général, auraient déjà contactés des commandants de certaines factions Raïa Mutomboki dans le but d’obtenir leur soutien lors des campagnes électorales, avec l’idée que ces miliciens influenceraient et éventuellement forceraient les choix des électeurs en leur faveur. Un responsable des Raïa Mutomboki de Kachiri  déclarait: «  En juillet lors du dépôt des candidatures à la députation provinciale, j’ai reçu à mon bureau plus de cinq candidats qui sollicitaient notre soutien, mais nous leurs avions opposés des préalables, mais hélas le processus électoral est bloqué ». Ces propos montrent clairement que des politiciens locaux considèrent ces différentes factions des Raïa Mutomboki comme de potentiels instruments pour leur (re)positionnement politique dans la zone.

D’autres motivations à la base de cette résurgence sont à situer dans les discours ethniques radicaux. Certains membres de la communauté Batembo en l’occurrence, prétendent que les Raïa Mutomboki sont un mal nécessaire pour lutter contre l’envahissement de leurs terres ancestrales par d’autres communautés ethniques. C’est dans ce contexte que resurgit la question de la revendication de l’autonomie territoriale vis-à-vis du territoire de Kalehe, déjà défendue par les Batembo à la fin des années 1990, et relayée par les agissements d’acteurs politiques et miliciens locaux. D’autres Raïa Mutomboki développent un discours dans le sens de lutter contre l’envahissement du territoire congolais par les pays voisins considérés, à leurs yeux, comme des pays agresseurs.

En plus, certains politiciens Batembo, originaires de Bunyakiri, n’ont jamais cessé de réclamer une plus significative participation des Batembo dans la gestion des institutions publiques congolaises à tous les niveaux. Par exemple, ils expliquent que la province du Sud-Kivu compte 56 divisions administratives, mais aucun Mutembo (singulier de Batembo) n’a jamais été nommé, même en qualité de secrétaire, à une de ces divisions. Pourtant, cet argument contraste avec la réalité. En effet, des cadres politiques Batembo ont occupé, surtout à partir de la transition politique de 2004 à 2006, des postes politiques de haut-rang, notamment un ministre national (Anselme Enerunga en 2003) et des ministres provinciaux (notamment Faida Batembo en 2011). En dépit de cela, certains acteurs politiciens Batembo considèrent leur faible représentation sur la scène politique comme une injustice à la base d’inégalités sociales criantes. Ceci expliquerait ainsi que certains Batembo, devenus partisans des Raïa Mutomboki, soutiendraient le recours aux armes comme un mode alternatif de revendication  politique auprès de Kinshasa, le pouvoir central.

Enfin, d’autres recrutements se font sous l’influence de certains acteurs locaux impliqués dans des conflits coutumiers et fonciers. Se méfiant ainsi des mécanismes existants de dialogue autour de ces questions, ils choisissent la voie de la revendication par la violence, privilégiant les règlements de compte.

Le cas de Bunyakiri est une belle illustration de l’instrumentalisation des groupes armés pour des fins politiques. Cette tendance semble se renforcer à l’approche des élections de fin 2016. Bien que la recomposition de ces groupes s’inscrive dans une dynamique sur le long terme, dans laquelle d’anciens miliciens se représentent aujourd’hui comme têtes d’affiche, relayés par des discours ethniques radicaux, mettre un terme à la résurgence des groupes armés sera une tâche complexe pour le gouvernement congolais. Celle-ci méritera, en priorité, de comprendre les évolutions sécuritaires au niveau local, en les situant dans l’échec d’une politique qui s’attaque aux questions de fond, notamment les tensions et revendications interethniques. Enfin, le cas de Bunyakiri illustre parfaitement les limites de la politique de désarmement et de réintégration des miliciens dans l’armée nationale, les FARDC. Tandis que cette politique contribue à la résurgence des groupes armés, elle affaiblit aussi profondément l’Etat congolais.
 

Notes

[1] Voir Jason Stearns et al.‘Les Raïa Mutomboki: Déficience du processus de paix en RDC et naissance d’une franchise armée’, Londres: Rift Valley Institute, 2013.

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