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Making local knowledge work

Le groupement de Waloaluanda : une « zone rouge » ? Comprendre un quotidien socio-sécuritaire complexe

This blog analyses the social and security situation in the groupement (local administrative unit) of Waloaluanda, located in the territory of Walikale in North Kivu province. It argues that the isolation of this area, which is partly a result of deficient road infrastructure, has fostered both underdevelopment and armed group presence. Today, no less than three armed groups (two factions of the Mai-Mai Kifuafua and the Mai-Mai Kirikicho) operate in the area. This blog explores the relations between these groups, notably the Mai-Mai Kifuafua, seen as a ‘people’s army’, and the local population and authorities, in particular customary chiefs. It shows that while the Mai-Mai are clearly dominant, customary chiefs are able to influence them to a certain degree, which allows them to negotiate governance issues. The contribution concludes that the return of stability in Waloaluanda will be conditioned on convincing the population that the government forces are capable of offering the same degree of protection as the Mai-Mai.

Vue sur le village de Lukaraba, Waloaluanda dans le territoire de Walikale © Josaphat Musamba, 2015.

Le groupement Waloaluanda est situé dans le secteur de Wanianga, en territoire de Walikale (Nord-Kivu). Majoritairement peuplé des Batembo, ce groupement est parmi les plus enclavés de Walikale et se situe à cheval entre les territoires de Masisi (Nord Kivu) à l’est et celui de Kalehe (groupement de Ziralo et Mubuku, au Sud Kivu). Waloaluanda connaît une histoire particulière de violence armée. Celle-ci est marquée par des vides sécuritaires et une culture d’autodéfense prononcée,  depuis les années quatre-vingt-dix. Ce blog analyse la situation socio-sécuritaire actuelle dans ce groupement. Ceci revient à répondre aux questions suivantes : quelles sont les dynamiques sécuritaires actuelles  dans Waloaluanda et qui en sont les acteurs ? Quelle est la situation humanitaire réelle dans cette zone ? Quelles sont les relations entre les acteurs étatiques, les populations civiles et les ‘forces de sécurité’ en présence ?
 

Waloaluanda : « une zone rouge »?

Waloaluanda est l’un des riches groupements de Walikale. Les opportunités économiques y sont immenses, notamment une importante production d’huile de palme. Malheureusement, l’enclavement complique sa contribution au développement local et encourage la présence des groupes armés. D’un côté, les voies de communications limitent l’accès des cultivateurs locaux aux marchés. De l’autre, la présence des groupes armés freine le développement de l’entité. A cause de l’absence de l’Etat, depuis plus de 20 ans, ce sont en effet les fils de Waloaluanda (en l’occurrence des miliciens des Maï-Maï Kifuafua) qui prétendent  sécuriser leur groupement. Ils s’érigent en autorité publique et semblent même jouir d’une certaine légitimé auprès de plusieurs couches de la population locale, malgré les tracasseries dont ils sont souvent accusés.
 

« Nous sommes discriminés par rapport aux autres communautés à Walikale »

Nombre d’habitants de Waloaluanda se sentent discriminés par les agences humanitaires du fait de taxer leur groupement de « zone rouge ». Même si certaines ONGs arrivent à œuvrer dans cette zone, leur présence reste limitée car la majorité des populations restent globalement coupées de l’assistance humanitaire En plus, l’enclavement physique de nombreux villages complique l’accès des populations à cette assistance.  Par conséquent, celle-ci ne peut se faire qu’à pieds jusqu’à destination.

Globalement, la situation humanitaire est préoccupante. Les populations locales n’ont pas accès à  l’eau potable. Aussi, au-delà de la présence de certaines écoles construites en matériaux durables, celles situées à l’intérieur de Waloaluanda ne sont que des hangars vides, souvent construits en pisé sans tableaux noirs. Enfin, sur le plan sanitaire, le centre de santé de Chambucha (village proche de la route principale axe : Bukavu-Miti-Hombo-Itebero) est bien construit et assure une bonne prise en charge des malades. Par contre,  la majorité des centres de santé sont en terre battue et n’ont pas la capacité de traiter efficacement les malades.
 

« Nous voulons une récompense… »

Trois groupes armés opèrent actuellement à Waloaluanda, à savoir deux factions distinctes des Maï-Maï Kifuafua et le groupe des Maï-Maï Kirikicho. Les groupes opérant sous le label Kifuafua  sont en majorité formés de combattants de l’ethnie Batembo, quelques Nyanga[1] et une minorité de Hunde. La première faction est celle des Kifuafua « axe Walikale » commandée par Delphin Mbaenda, actuellement malade, ayant passé quelques jours à l’hôpital de Chambucha. Ancien « Katuku » et Maï-Maï des années 1996, Delphin intégra les Forces Armées de la République démocratique du Congo (FARDC) puis fit défection en 2010.

La seconde faction est celle des Kifuafua « axe Masisi », du général autoproclamé Maachano Nowa et Limenze Kagonga alias Katabilalo, dont le quartier-général est localisé à Remeka. Ces deniers furent, dans le temps, des compagnons de Delphin Mbaenda, avant de se désolidariser de lui en 2014. Cette scission eut lieu après que les Maï-Maï Kifuafua avaient défait les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR, une milice Hutu d’origine rwandaise) avec l’appui des Raïa Mutomboki venus du groupement Bakano (une milice créée en 2005 dans le territoire de Shabunda avant de s’étendre en 2009 et 2010 vers d’autres territoires et puis de connaître multiples fragmentations).

Le troisième groupe armé opérant dans Waloaluanda est celui des Maï-Maï Kirikicho, dirigé par Kirikicho Mirimba Mwanamayi, un originaire du groupement de Ziralo (dans le territoire de Kalehe, Sud Kivu). Kirikicho eut des problèmes avec le chef de groupement de Ziralo après le départ des FDLR et se réfugia ainsi chez ses frères Batembo Kifuafua de Walikale. Des informations récentes font encore état des ses incursions dans la localité de Mihanda à Ziralo.

Ces trois groupes sont souvent mouvants et fonctionnent en alliance dans cette zone. Dans leurs discours, ils sentent toujours des menaces contre leurs communautés. Mais, en 2010, les Kifuafua s’inscrivent à l’initiative de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) mais, par après, rejoignirent le maquis. Ils continuent même de réclamer comme condition de leur désarmement que l’Etat congolais leur confère des grades militaires et des récompenses pour  avoir  chassé les FDLR alors que les FARDC ne le pouvaient pas.  La question reste de savoir pourquoi le processus de démobilisation des groupes armés locaux tarde t-il à venir ? Quels en sont les obstacles et les défis?
 

Les chefs coutumiers, la population et les «Basoda » 

Les acteurs qui pourvoient la sécurité des populations de Waloaluanda et de leurs biens sont les Maï-Maï Kifuafua des deux factions précitées. Les populations locales les désignent par le terme « basoda » (militaires en langue Kiswahili). Leurs structures de commandement sont présentes dans la majorité des villages et localités du groupement. Les Kifuafua se déclarent ainsi être une « armée communautaire » visant à sécuriser les communautés locales. Mais est-ce là leur vraie motivation ?

Dans le cadre sécuritaire, les Maï-Maï jouent le rôle de la police et assurent la justice. Probablement plus alléchant, ils contrôlent les activités économiques, prélèvent notamment les taxes dans les marchés locaux. C’est ainsi qu’ils ont aussi développé des relations de collaboration avec les autorités coutumières locales, même si dans l’analyse des rapports de pouvoirs, la balance se pencherait plutôt chez les Kifuafua. Alors que les basoda sont plus puissants que ces chefs dans certains villages, ces derniers prodiguent parfois des conseils aux chefs miliciens et combattants Kifuafua. Ceci montre aussi que ces chefs coutumiers ont tout de même pu garder un espace de négociation et une certaine marge d’influence sur eux. Par exemple, en 2015 le chef de groupement de Waloaluanda proposa et obtint des chefs militaires Kifuafua que les miliciens Kifuafua cessent de circuler avec armes dans les villages.

Malgré ce mode de collaboration et d’accommodation au groupe armé, il s’observe en réalité que dans la plupart de localités de Waloaluanda, ce sont les Kifuafua qui font toujours la loi et s’imposent dans la gestion quotidienne du tissus socio-économique local. Par exemple, en cas d’infractions avérées, lorsque qu’une personne a versé le sang d’une autre, en cas de dispute ou de meurtre, ce sont les basoda qui administrent la justice. Cependant, les affaires coutumières, restent quant à elles, sous la responsabilité des chefs coutumiers.

Les Kifuafua exercent un contrôle strict sur les marchés publics. Ils  perçoivent les taxes et érigent des barrières pour la collecte des vivres. Ils taxent également la production et la commercialisation d’huile de palme et le commerce du bétail, même lorsque ce dernier n’est qu’en transit via les villages sous leur contrôle. Ces différentes formes de taxations et impositions leur permettent de se procurer des moyens d’entretenir le groupe armé.  En outre, les basoda obligent les populations locales à effectuer le « salongo » (sorte de travail collectif). Ils utilisent ainsi certains chefs coutumiers locaux pour mobiliser les habitants aux travaux de traçage et de défrichage des routes afin de faciliter le passage des motos, les seuls moyens de transport disponibles dans certaines localités de Waloaluanda. 

Comme déjà mentionné, les Maï-Maï Kifuafua ne sont pas exempts d’actes de tracasserie en dépit de leur prétention à sécuriser les populations. En plus des taxes, les arrestations arbitraires sont légion et constituent l’une des sources-clé de financement du groupe. En effet, une personne arrêtée ne peut être libérée qu’après versement d’une amende forfaitaire considérée comme proportionnelle à l’infraction commise. Au quotidien, aucune catégorie sociale n’est exempte de l’arbitraire exercé par les Maï-Maï. Les commerçants sont aussi  soumis à une diversité de taxes illégales et arbitraires. Localement, le seul ressort qui limite parfois ces exactions sont les liens parentaux entre les personnes qui en sont victimes et les combattants Maï-Maï. Ces liens et le rôle qu’ils jouent dans les relations entre les Maï-Maï et les populations locales démontrent clairement que ces combattants sont des « fils de la communauté » et y sont ancrés.

Le groupement Waloaluanda est un cas exemplaire qui démontre la manière dont les groupes armés peuvent être enracinés dans les communautés et finir par être reconnus comme armée communautaire dans l’est de la RDC. Alors que les FARDC peinent à combattre ces groupes, convaincre les populations locales que les services étatiques leur offriront la même protection est probablement la plus grande condition qui déterminera un possible retour de l’Etat dans un groupement comme Waloaluanda. Sauf un  possible et efficace rétablissement de l’autorité de l’Etat congolais, la question ambiguë de la récompense demandée par les Kifuafua et d’autres groupes armés pour avoir substitués aux FARDC devrait aussi être mis sur la table pour tirer le Waloaluanda de ce cercle vicieux.
 

Notes

[1] Selon des sources au sein de Maï-Maï Kifuafua, après qu’ils aient défait le seigneur de guerre Ngowa qui complotait avec Makuchamakucha (un ancien chef de division adjoint des Kifuafua, actuellement aux arrêts) afin d’éliminer leur leader Delphin Mbaenda (au cours du deuxième semestre 2015), quelques combattants de l’ethnie Nyanga et Hunde furent aussi intégrés dans les Maï-Maï Kifufua vers le village de Ntoto.

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