RVI s’est entretenu avec les auteurs du rapport récent de RVI et VNGi, La Gouvernance de la Sécurité Locale à l’est du Congo : Décentralisation, réforme de la police et interventions dans la chefferie de Buhavu, Michel Thill et Abel Cimanuka. Basé sur 30+ entrevues, le rapport explore la mise en œuvre des conseils locaux pour la sécurité de proximité (CLSP) dans la chefferie de Buhavu dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu, offrant des perspectives sur comment les entités rurales gèrent la sécurité dans l’est de la RDC. Also in English.
RVI : Le rapport discute deux processus clés : la décentralisation et la réforme de la police. Pouvez-vous expliquer ce que ceux-ci sont en RDC ?
MT&AC : La constitution de 2006 instaure la décentralisation avec son but de rapprocher le gouvernement de ses citoyens. Elle reconnait aux pouvoirs provinciaux et locaux certains droits et responsabilités sur le plan politique, économique, social et sécuritaire.[i]
La réforme de la police amorcée depuis 2005 s’inscrit dans la logique de la décentralisation. Elle voudrait transformer la Police Nationale Congolaise (PNC) dans une police de proximité qui met l’accent sur le partenariat avec la communauté, la redevabilité et la prévention.
Elle établit aussi le Conseil Local pour la Sécurité de Proximité (CLSP) au niveau des Entités Territoriales Décentralisées (ETD). Dédié à la sécurité humaine, il rassemble les acteurs locaux dans la gouvernance sécuritaire : autorités, police, justice et société civile.[ii]
RVI : Le rapport explique qu’un risque de ces processus, c’est la réplication de dynamiques de gouvernance existantes, qui sont souvent prédateurs. Pouvez-vous expliquer comment ceci se fait ?
MT&AC : Sans les moyens et le suivi nécessaires, il y a risque que les ETD usent de leurs nouveaux pouvoirs pour copier les pratiques prédatrices du pouvoir central à leur échelle et au détriment d’une administration de proximité réelle.
Si, par exemple, une ETD récolte des taxes sans offrir des services publics en retour et sans redevabilité à la population, du point de vue pratique, elle ne serait pas différente d’un pouvoir centralisé.[iii]
RVI : En juillet 2019, le gouverneur du Sud-Kivu a annoncé la mise en œuvre des CLSPs. Après ceci, le gouvernement central a annoncé la revitalisation de la réforme de la police. Quelle est l’importance de ces annonces ?
MT&AC : Elles représentent une promesse à la population que chaque niveau administratif contribuera à l’amélioration de la gouvernance sécuritaire. Les ETD, par exemple, doivent inscrire dans leurs budgets le fonctionnement du CLSP et leur quote-part dans ses projets locaux de sécurité.
Pour le Gouvernement provincial, c’est d’instituer par arrêté le Fonds CLSP afin de faciliter le financement des projets locaux de sécurité. Pour le gouvernement central, c’est de budgétiser en conséquence les dépenses liées à la réforme de la police.
Et c’est à la société civile et aux partenaires bi- et multilatéraux de rappeler les autorités de tenir leurs promesses et de les appuyer dans leurs efforts.
RVI : Un programme pilote de réforme de la police a eu lieu dans trois villes entre 2009–2014. Un projet de gouvernance qui inclut des éléments de réforme de police a été lancé dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu en 2017. Quels sont les risques et opportunités de réformer la police dans des zones rurales ?
MT&AC : Ce vaste programme de réforme de la police a concerné les milieux urbains. Bien qu’ayant été confronté à certains défis, ce programme a eu quelques succès comme la mise en place des cadres de concertations (CLSP et Forums de quartiers).[iv]
Le milieu rural connaît ses propres réalités : manque d’infrastructure et conflits fonciers ; forte pauvreté et services publics clairsemés ; forces de sécurité mal équipées et à peine payées ; groupes armés, conflits entre organes administratifs et une société civile fragmentée.
L’opportunité principale de projets dans tels milieux est de créer des espaces permettant à toutes les parties prenantes d’œuvrer ensemble pour une meilleure sécurité humaine en s’inspirant de la résilience, de la créativité et de l’énergie des communautés locales.
Cependant, de tels projets parfois ignorent les leçons du passé, sont trop limités dans le temps et les ressources, n’exploitent pas l’expertise locale existante et ne se familiarisent pas assez avec le cadre légal existant.
Dans de tels cas, un projet risque de semer la confusion, et même de contribuer à la compétition parmi les parties prenantes pour les fonds du bailleur. Ce sera la population qui en souffrira le plus.
RVI : Le rapport explique que ‘Ceux qui ont les moyens d’investir dans la sécurité n’ont pas toujours l’habitude de le faire ; et ceux qui de facto gèrent la sécurité et ont l’expérience nécessaire, manque les fonds.’ Pouvez-vous élaborer sur ces défis ?
MT&AC : Malgré les réformes, le cadre le plus pertinent pour les questions sécuritaires de l’État demeure le Conseil Local de Sécurité traditionnel (CLS) qui rassemble les acteurs de sécurité étatiques et se tient à chaque niveau administratif.
En théorie, le CLS est financé par le budget central, mais les moyens nécessaires pour son propre fonctionnement atteignent que rarement les niveaux administratifs plus bas.
Aujourd’hui, le CLS existe en parallèle avec le CLSP, lui financé par le budget des ETD et donc avec une autonomie financière. Cependant, les chefs des ETD parfois manquent l’habitude, l’autorité ou la volonté de rassembler de telles réunions pour aborder la sécurité locale.
En pratique donc, les administrateurs des territoires qui eux ont l’expérience de le faire manque les moyens, et ceux qui ont les moyens manquent l’expérience.
RVI : Le rapport met en envergure l’importance de ‘communiquer et échanger’ comme un élément central dans une réforme efficace. Qu’est-ce que cela veut dire et pourquoi est-ce tellement important ?
MT&AC : La police de proximité met l’accent sur l’amélioration de la relation et la restauration de la confiance entre la police et la population. Ceci se fait à travers les CLSP et forums de quartier (FQ) et de groupement (FG), des espaces qui permettent un échange régulier et inclusif.
Dans des zones isolées, où l’armée et la police sont guères présentes, les communautés, notables, leaders, administrateurs locaux et, effectivement, groupes armés, s’organisent eux-mêmes pour trouver ensemble des solutions aux défis quotidiens posés par l’insécurité.
Ces pratiques locales ne sont pas si différentes de l’esprit du CLSP, FQ et FG. La réforme de la police essaie tout simplement de formaliser et d’élever à des niveaux administratifs plus hauts ce qui se fait déjà en pratique au niveau le plus local.
RVI : Finalement, comment des acteurs externes peuvent-ils soutenir les efforts de dans le domaine de la gouvernance locale de la sécurité d’une façon productive et durable sans fragmenter le paysage sécuritaire davantage ou renforcer des pratiques prédateurs ?
MT&AC : Nous proposons quatre pistes. Il faudrait davantage impliquer la police qui est trop souvent négligée dans des projets de gouvernance sécuritaire Sans son « buy-in », ce sera impossible de faire du progrès dans le domaine de la sécurité locale.
Les intervenants devraient apprécier le décret du CLSP dans son intégralité, et surtout son objectif principal d’inclusion et d’échange, et exploiter la flexibilité de son cadre juridique qui permet à ses structures de se conformer aux réalités et exigences locales.
Troisièmement, ils pourraient travailler ensemble avec les ETD pour dédier une partie de leur budget aux projets locaux de sécurité. Le budget participatif, par exemple, pourrait dédier une ligne spécifiquement à cette fin.
Finalement, les partenaires internationaux pourraient soutenir la mobilisation des chefferies afin qu’elles assument leurs responsabilités sécuritaires tant bien que faciliter la coopération entre les chefferies et administrations territoriales.
Notes
[i] http://www.leganet.cd/Legislation/Droit%20Public/Administration.ter/L.08.16.17.10.2008.htm
[ii] https://www.droitcongolais.info/files/440.09.13.1-Decret-du-16-septembre-2013_Securite_conseils-de-proximite.pdf
[iii] Cf. https://www.cambridge.org/core/journals/african-studies-review/article/misguided-and-misdiagnosed-the-failure-of-decentralization-reforms-in-the-dr-congo/B347D98FE275213984BEFF015EA01C0A; https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2012-1-page-169.htm#
[iv] Cf. http://riftvalley.net/publication/putting-everyday-police-life-centre-reform-bukavu