Between 2016 and 2018, civil society organizations in the city of Bukavu recorded 17 attacks on money-changers (cambistes), both on the streets and in their homes. Often in possession of large sums of cash, money-changers are a favoured target of heavily armed attackers. In this blog, Francine Mudunga explores the causes, consequences and possible solutions to the insecurity faced by money-changers in Bukavu. According to money-changers, Mudunga explains, the attacks are often committed in complicity with policemen and military living in the same neighbourhood who know where they live and what they do. Another important problem are clients who borrow money and build up large debts but when they are no longer able to repay or unwilling to respect the conditions of the loan, clients may hire hitmen to get rid of the money-changer. To stem money-changers’ insecurity, the government has proposed that they all adhere to currency exchange bureaus instead of operating in the streets. Yet most lack the money for, or are reluctant to pay, the USD 150 adherence fee, and are opposed to stricter regulation. At present, anyone can become a money-changer, which makes it a very attractive profession for the poor. This, in turn, makes it even more urgent that urban authorities and security services intensify their efforts to protect this vulnerable group.
Entre 2016 et 2018, 17[1] cas de braquages des cambistes, y inclus des assassinats ont été enregistrés par la société civile de Bukavu. Ces actes se déroulent à la fois les jours comme les nuits sur les trottoirs des rues de la ville ou aux domiciles des cambistes.
Ce blog analyse les différentes facettes de l’insécurité vécue par les cambistes dans la ville de Bukavu. Quels sont les acteurs y impliqués ? Comment cette insécurité se manifeste-t-elle ? Quelles sont les réponses y apportées à la fois par ce groupe de « marchands de monnaie » et les autorités publiques ? Pour examiner ces aspects, nous avons procédé à une série d’entretiens avec les acteurs-clés.
Une insécurité quasi-quotidienne
Le travail de change de monnaie est devenu un travail à haut risque. Le fait de posséder de l’argent en espèce expose les cambistes à une insécurité directe comme ils deviennent des cibles pour les voleurs à mains armés. Comme un témoin nous raconte : « C’est le cas du braquage du jeudi 25 janvier 2018 à 16heures 20 minutes en face de la société Kotecha où plus de 13 cambistes furent blessés par les hommes en uniforme militaire non identifiés. Il y avait un militaire bien armé qui a barricadé la route à partir de Rawbank et un autre au niveau de l’hôtel Mont Kahuzi, ces cambistes étaient donc entourés de militaires, c’est alors que plus de 13 militaires armés étaient arrivés et ont jetés de balles dans la foule où étaient assis les cambistes ». Les malfrats ont tiré en l’air des jets de grenades pour intimider les passagers d’approcher le lieu et leurs cibles. Parmi ces victimes, il y a celles qui sont restées handicapées.
Les cambistes soulignent que le plus souvent pour attirer leur attention, certains bandits armés, se présentent comme des clients sur les lieux où se déroulent ces attaques. . Selon un parmi eux : « Ces bandits viennent plusieurs fois, ils changent de somme d’argent à maintes reprises. Ils passent au moins deux fois par semaine. A la prochaine fois, ils font semblant de présenter au prérequis leurs billets en dollars américains. Soudainement, nous sommes intimidés, abattus et même blessés sur place. De sommes importantes d’argent, et autres biens de valeurs comme des ordinateurs, des bijoux en or, des téléphones, des cartes d’appels sont emportés. Du coup des balles s’ensuivent pour intimider la population ».
Face à cette situation, certains cambistes accusent les institutions étatiques chargées de la sécurité comme responsables de cette insécurité. D’autres indexent les civils malfaiteurs en complexité avec les agents de l’ordre. C’est alors qu’un cambiste a montré : « nous vivons avec les malfaiteurs dans les quartiers, ils maitrisent bien nos métiers. Les militaires et les policiers sont mélangés avec les civils, ils savent le temps de départ au travail et de retour à la maison. Ce qui fait qu’ils nous traquent et extorquent en cours de route, au lieu de travail et même à la maison ». Bien que la police soit accusée de complicité avec les bandits, elle est aussi critiquée pour le fait qu’elle arrive souvent en retard pour intervenir en faveur des victimes.
Comprendre l’insécurité des cambistes
Le phénomène d’insécurité est donc entouré de plusieurs corolaires. Pour les cambistes, le chômage et la pauvreté que la population traverse exposent ainsi ces groupes de marchands à une vulnérabilité qui se traduit par les cas d’insécurité.. Certains jeunes diplômés sans emplois, et qui souffrent d’une pauvreté morale, se plongent dans le banditisme pour la survie en se livrant à l’extorsion, le vol et le pillage pour accéder aux biens. L’exode rural intervient aussi dans ce phénomène. La masse de population qui n’est pas toujours recensée a conduit plusieurs personnes à se plonger dans le banditisme. Il n’y a donc pas de contrôle sur le mouvement de la population surtout les entrées et les sorties, ce qui occasionne l’insécurité dans la ville. Outre cela, l’insolvabilité de certains clients peut davantage menacer l’insécurité physique des cambistes. Certaines gens prêtent des sommes d’argents importants à remettre avec intérêt auprès des cambistes. En se trouvant dans l’impossibilité de les rembourser, ou en ne respectant les clauses conclues, certaines personnes insolvables nourrissent des conflits vis-à-vis des cambistes, qui se soldent par des assassinats.
Selon les cambistes, le gouvernement devrait les sécuriser comme ils payent des taxes en exerçant leurs activités. Toutefois, le dysfonctionnement du système judiciaire empêche une réaction efficace au niveau du gouvernement. D’ailleurs, dans la politique gouvernementale, il y a une contradiction constante entre les discours et les actes. Selon certains entretiens réalisés, le système judiciaire congolais se caractérise par une lenteur et une indifférence aux mesures du droit pénal touchant à l’amélioration de la sécurité et de la qualité de vie. Les cambistes perçoivent la justice congolaise comme un système caractérisé par une moindre application de la peine. Pour eux, il est clair que le concept de prison comme cadre correctionnel n’est pas valablement appliqué car les acteurs accusés de l’insécurité sont rarement arrêtés et souvent rapidement relâchés dans la société. Face à cette impunité, certains cambistes se rappellent de manière mélancolique de l’époque du Zaïre (1971-1997) où existait un principe selon lequel « celui qui tue par l’épée périra par l’épée ». Cette forme de punition, disent-ils, a marché pour l’instauration d’une paix équilibrée.
Réponses défaillantes des autorités étatiques
Vue la pérennisation du phénomène de banditisme armé dans la ville de Bukavu, le gouvernement provincial lança une politique sécuritaire « Opération Tujikinge » ou « protégeons-nous ». Cette dernière consiste en une auto-prise en charge de la population face à l’insécurité, par exemple les mécanismes sécuritaires comme le système d’alerte dont certaines personnes procèdent par les coups de sifflet. Après cette mesure, d’autres cas d’insécurité ont pourtant été enregistrés. C’est le cas, le 20 septembre 2018, de l’assassinat du président des cambistes de Bukavu Christian Amisi nommé « le Blanc », fusillé à 6h du matin tout près de son domicile sis avenue Georges Défour, à l’entrée de l’Institut Supérieur de Développement Rural.
Au-delà de l’Opération Tujikinge, le gouvernement provincial a proposé que tous les cambistes adhèrent aux maisons de change. Les cambistes se sont opposés à cette idée car les conditions ne sont pas réunies pour y parvenir. À leur tour, ils ont proposé qu’on supprime d’abord tous les marchés de change de monnaie pour créer des nouveaux où on identifierait tous les cambistes, en évitant ainsi la concurrence. En plus, les cambistes ont montré que les frais d’adhésion aux maisons de change, fixés à 1500 US, sont très élevés, ce qui impactera sur leur capital. Certains parmi eux n’ont même pas 100 US de capital. Les cambistes ont aussi soulevé le rôle ambigu de la police. Cette dernière est accusée de complicité avec les bandits et est imputée un retard dans l’intervention. Toutefois, elle se présente toujours au lieu pour l’étude de la situation.
Une responsabilité partagée
Pour le phénomène d’insécurité, la responsabilité est donc partagée entre plusieurs acteurs. Il s’agit d’une part du gouvernement par son impunité : les présumés auteurs de l’insécurité sont rarement arrêtés et relâchés si rapidement dans la communauté. Les mesures contraignantes ne sont pas mises en application ce qui fait que les bandits n’ont pas peur d’être arrêtés. En outre, dans la plupart d’attaques, extorsions, braquages, etc, les bandits sont toujours bien armés. Si on se demandait, où est-ce que ces civils trouvent les armes ? Les policiers et les militaires seraient les principaux fournisseurs d’armes dans cette situation. D’autre part, les cambistes sont aussi des acteurs indirects de leur insécurité vu les antécédents de conflits financiers entre eux et certains clients.
En conclusion, le problème de l’insécurité mérite d’être résolu à partir des mesures et stratégies qui soient convenablement équilibrées entre la prévention et la répression. Pour faire face à cette situation, le gouvernement devrait disponibiliser les moyens permettant aux services de sécurité de bien jouer leurs rôles de protection des cambistes et de leurs biens. Le recrutement dans la police et l’armée doit être stratégique et contrôlé car les policiers et militaires sont souvent accusés de complicité avec les groupes de bandits. Pour les cambistes, la sensibilisation d’adhérer aux bureaux de change serait une opportunité pour leur sécurité permanente. Le travail de change de monnaie répond aux besoins d’emplois de jeunes dans la ville. En tant qu’activité informelle elle constitue une source de revenu pour les familles de ces cambistes. Alors sécuriser les cambistes permet d’assurer la survie à une couche importante de la population de la ville de Bukavu.
Notes
[1] Société civile Bukavu, rapport de l’état sécuritaire de la ville de Bukavu 2018
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