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« Le robot producteur Sud » : quel avenir dans les zones rouges ?

This blog was written by Irène Bahati and is part of RVI’s Research Collaboration project in partnership with the Groupe d’Etudes sur les Conflits et la Sécurité Humaine (GEC-SH) and funded by the Knowledge Management Fund of KPSRL. The project examines the political economy of knowledge production and its impact on the security of researchers in conflict-affected settings, and in turn, the quality of the research that is produced. Specifically, the project focuses on the experiences of Congolese researchers working on collaborative Global North-South projects and aims to contribute to the conversation on research ethics, collaboration and decolonizing knowledge. Interviews and focus group discussions were conducted by the GEC-SH team in March and April 2019. The project takes the position that all forms of research whereby a researcher or institution relies on another researcher or institution for access, data collection and analysis, translation, transcription, writing, or other form of knowledge production or sharing can be considered collaborative. As such, the project examines various forms of collaborative research, whether short-term consultancies or long-term partnerships, in an effort to combat extractive forms of research.

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Par Irène Bahati

La recherche collaborative associe plusieurs acteurs dans la chaine de production du savoir. Les commanditaires de recherche du Nord font souvent recours aux chercheurs du Sud pour faire des recherches. Cependant, la plupart des chercheurs localement ancrés sont souvent écartés par les chercheurs du Nord de tout le processus de mise en œuvre d’une recherche.  Ils ne sont pris que comme des simples collecteurs des données et non pas  comme des chercheurs à part entière ; des robots chargés de faire le terrain dans des zones insécurisées en contrepartie d’une rémunération non proportionnelle aux risques courus. Par ailleurs, très peu de ces chercheurs dits « locaux »  participent dans tout le processus de mise en œuvre d’une recherche, c’est-à-dire, dès la conception du projet jusqu’à la publication des résultats. On pourrait se demander  quel est le niveau d’implication des chercheurs Sud dans le processus de production des connaissances scientifiques ?

En effet, ce blog est basé sur les entretiens avec des chercheurs congolais spécifiquement ceux travaillant  au Sud Kivu à l’Est de la RD Congo et ne peuvent pas être généralisés à toutes les instances de la recherches collaborative. Cependant, ces résultats de terrain démontrent que l’inégalité dans le processus de production de connaissances conduit à une situation dans laquelle les chercheurs congolais ont un pouvoir décisionnel minimal. En conséquence, ils sont souvent réduits à des robots producteurs, créant ainsi un cycle d’exploitation intellectuelle  au détriment d’une valorisation des connaissances locales. Aussi, cette situation est source des frustrations car ils ne sont pas impliqués dans tout le processus de mise en œuvre de la recherche, ils apparaissent comme des exécutants et non  comme des partenaires. 

Dans la recherche collaborative Nord –Sud, d’un côté il y a ceux-là qui détiennent les moyens pour financer la recherche (le Nord), et de l’autre ceux-là qui sont basés dans les zones de recherche mais qui manquent des moyens suffisant pour financer la recherche (le Sud). Il se remarque que dans  la recherche collaborative pour la plupart de cas, les chercheurs locaux occupent la dernière place dans la mise en œuvre d’une recherche commanditée par le Nord, leurs avis  ne sont  pas pris  en compte  lors de la répartition des ressources, les budgets  sont strictes et sérés même les rémunérations sont imposées et non discutables  ne permettant pas aux chercheurs Sud de mener à bon train la recherche.

De par les interviews réalisées sur cette thématique, les chercheurs congolais  abordés étaient des différentes catégories dont les licenciés ayant une expérience de moins de cinq ans dans la recherche collaborative, les mastérants une expérience de plus de cinq ans et les professeurs une expérience de plus de dix ans dans la recherche collaborative.  La majorité des chercheurs rencontrés dans le cadre de ce projet,  affirme qu’ils ne servent que des ponts pour les chercheurs du Nord, « la recherche collaborative profitent plus le Nord que le Sud, nous chercheurs locaux ne font que fournir des données de terrain à ceux du Nord sans trop savoir à quoi ces données serviront, ils profitent de notre précarité financière pour nous exploiter  (chercheur congolais, Avril  2019).  Un autre affirme : « Nous sommes des robots producteurs c’est-à-dire des machines à fournir des données. Nous récoltons des données  dans notre propre contexte pour enrichir les bibliothèques du Nord et servir aux  chercheurs du Nord de devenir des experts sur nos milieux. Nous ne sommes pas du tout satisfaits des dynamiques des recherches dans lesquelles nous sommes impliqués avec les chercheurs Nord, cela parait comme une colonisation continue,» (Chercheur congolais d’une ONG, 2019).

De plusselon nos données,   les expériences de ces chercheurs congolais montrent une faible participation de leur part dans tout le processus de mise en œuvre  des  recherches, pourtant ces dernières sont effectuées dans leurs milieux ; cette situation est source de frustration, « nous sommes relégués au second plan au lieu d’être consultés préalablement surtout pour les recherches qui concernent notre milieu. Imaginez les projets concernant notre milieu sont conçus et décidés au niveau du Nord, ils viennent auprès de nous pour la collecte des données et quelques mois après qu’ils aient bénéficiés de ces données, ils ressortent des experts en questions qui concernent nos milieux et nous restons dans les status quo car avons uniquement été collecteurs des données ; où as-tu vu une personne devenir spécialiste de l’environnement dans lequel il ne vit même pas ? Je crois que nous devons déjà nous assumer nous chercheurs Sud ! Personnellement cette dynamique de collaboration me crée beaucoup de frustrations » (chercheur congolais, Avril 2019).

Par contre, il y a  quelques  exceptions dans les entrevues effectuées auprès des chercheurs congolais rencontrés. Ces derniers  expliquent qu’ils sont impliqués dans la mise en œuvre de la recherche car ce sont eux qui proposent des thèmes de recherche et sont quasiment associés dans tout  le processus de la recherche : «  ce sont nous qui proposons des projets de recherche au Nord, nous collaborons du début  jusqu’à la fin et participons à la publication des résultats, nous sommes plus ou moins satisfaits des dynamiques des recherches collaboratives dans lesquelles nous sommes impliqués mais il faut encore fournir beaucoup d’effort dans cette  collaboration pour qu’elle soit d’égal à égal et non de subalternance  car ce sont les chercheurs du Sud qui fournissent toutes les données pour arriver aux résultats escomptés »  (chercheur congolais du centre de recherche de Lwiro, 2019). Ces exceptions démontrent qu’il est possible pour les centres de recherche du Nord d’être plus inclusive dans la mise en œuvre de ce genre de projet.

Les données collectées par rapport à cette étude indiquent que les expériences des chercheurs locaux dans la recherche collaborative ont un peu plus d’impact au niveau intellectuel  qu’au niveau financier par ce que la majorité d’entre eux a montré que  «  la plupart d’activités de recherche entrent cas même  directement dans le cadre de renforcements des capacités  du chercheur Sud, ces recherches nous permettent tant soit peu d’acquérir des nouvelles connaissances ainsi que la compréhension du problème de  nos  milieux. … tandis que sur le plan  financier,  le salaire est dérisoire et ne nous permet pas  d’améliorer nos conditions de vie socioéconomiques  pourtant, on a toujours dit que ventre creux n’a point d’oreille !  le gros du travail est effectué au Sud et dans des conditions non favorables vu le contexte sécuritaire ; de fois nous  sommes obligés de toucher dans nos poches et d’aller au-delà du budget prévu pour finir la recherche».».

Cependant, les expériences de tous ces chercheurs congolais prouvent qu’aucune garantie sécuritaire n’est offerte par le Nord pourtant ils sont appelés à  collecter des données dans des zones rouges, de fois au prix de leur vie ; « Je me rappelle dernièrement j’ai croisé les Mai Mai de GUMINO lors d’une recherche, je me suis fait agresser, ils ont tout emporté même mon dictaphone de terrain, je n’ai plus fait cette recherche car même les questionnaires ont été emportés, j’ai échappé à la mort !  Nous faisons également  face à plusieurs difficultés dont l’impraticabilité des voies de communication (transport),  longs trajets parcourus , l’insuffisance des moyens alloués à la recherche… et de tout cela les commanditaires de recherche en sont informés mais sont convaincus que nous sommes habitués à vivre dans les zones rouges, alors qu’eux attendent les données de terrain dans leurs bureaux climatisés, ce n’est pas juste, il y a vraiment déséquilibre notoire dans le traitement  ! » (Chercheur congolais, 2019).  

Par ailleurs,  certains chercheurs du Nord sont conscients que les chercheurs locaux sont fréquemment ancrés dans une administration procédurale rigide non-adaptée aux réalités du terrain, des terrains à haut risque  et qu’à leur niveau il y a un problème des structures. «  Les projets sont conçus au Nord sans d’ avance en informer aux personnes du Sud, c’est une erreur que nous reconnaissons et il y a comme une sorte de courbe d’apprentissage, où les erreurs sont reconnus et des essais d’améliorations sont fournis » (chercheur du Nord, 2019 ).

Egalement,  ces chercheurs du Nord reconnaissent les efforts de travail fait par le Sud sans lesquels le Nord ne peut mener à bon la recherche ; «  le Nord ne peut faire aucune recherche sans l’aide  du Sud, ce sont les chercheurs du Sud qui produisent pratiquement tout. Egalement les chercheurs du Nord ne sont pas transparents dans la répartition des ressources financières et ceux du Sud hésitent de demander des comptes ni poser des questions quant à ce, cette situation est loin de finir si les chercheurs Sud continuent toujours à considérer ceux du Nord comme leurs supérieurs au lieu de de développer des relations d’égalité».

Enfin, on s’est rendu compte sur base des analyses locales effectuées que la recherche collaborative crée des frustrations pour la plupart des chercheurs que nous avons consultés. L’inégalité pratique dans le traitement peut impacter négativement la qualité des résultats étant donné que tous les gardes fous ne sont pas pris en compte pour permettre la bonne mis en œuvre de la recherche surtout que ces chercheurs œuvrent dans des zones instables et produisent beaucoup.  De ce fait, il serait important de repenser la  recherche collaborative en la rendant équilibrée pour un meilleur partenariat. Cet équilibre harmonieux irait dans le traitement de tous les chercheurs, que ça soit ceux du Nord que ceux du Sud, dans le  principe de transparence pour la fixation du salaire en évitant toute disparité en mettant toutes les parties dans les mêmes conditions, dans l’intérêt conjoint porté aux différents contextes de terrain pour faire des meilleures analyses de sécurité pre-depart. Ceci peut permettre aux chercheurs locaux de n’est plus se considérer comme des robots producteurs mais comme des collaborateurs à part entière.

kmf

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