In this blog, Claude Iguma analyses the rumours and events surrounding an attack by an armed group on the gold mining site of Misisi in Fizi, South Kivu. These rumours, resulting from uncertainties about the perpetrators and their motives, reveal the complex ways in which business and security interests are entwined in the eastern DRC’s mining sector. Armed and unarmed, state-and non-state actors collaborate and compete in sometimes unexpected ways. This breeds conflicts and insecurity. Grasping this complexity, by mapping the various commercial, social and military networks involved, is essential to understand conflict dynamics and in turn enable better governance.
Visiter Misisi ne manque pas de frapper l’imagination et la curiosité. Mine artisanale d’or la plus populeuse du territoire de Fizi, au Sud-Kivu, Misisi grouille de monde. Bien que localement contestée, la société minière CASA Mining est localement présente depuis 2010. Elle mène ses activités d’exploration sur les collines surplombant Misisi, aux côtés de près de 20000 creuseurs, d’innombrables petits marchands, motards, fonctionnaires de l’Etat et autorités locales. L’économie locale est presqu’exclusivement dominée par des activités d’artisanat minier auxquelles sont liées, de fil en aiguille, presque toutes les autres activités. Les activités minières ont rendu les populations locales si accoutumées aux vrombissements quotidiens d’une centaine de ‘concasseurs’ de pierres de quartz, juchée sur une petite colline localement dénommée MIBA (Minière des Bakwanga) en référence à l’entreprise minière de diamant basée au Kasaï. Tirant profits ou simple survie de cette même MIBA, les populations locales en tirent aussi, malheureusement, leur source d’insécurité.
Ce qui compose très souvent avec ce décor apparent de Misisi, c’est le bruit de bottes, les cliquetis d’armes et les coups de canons. Des miliciens Mai-Mai (majoritairement du groupe Yakutumba) sont souvent aperçus dans les villages environnants Misisi tels que Nyange, Kachoka et Misunga, pillent et braquent des passants et ne manquent pas, pour diverses raisons de ‘visiter’ Misisi. Alors que, ces dernières années, Misisi ait fait l’objet d’attaques récurrentes et violentes de ces miliciens, il ne suffit pourtant pas d’être présent à Misisi au cours de l’une de ces attaques pour entendre ce bruit de bottes. Il est parfois dans les esprits et copule avec le business minier local. Lorsque je visitais Misisi en début février 2014, un officier de l’Etat-major des renseignements militaires me confia : « Bientôt, les armes ne vont pas tarder à siffler ici », faisant allusion aux rumeurs persistantes d’une attaque des miliciens Mai-Mai.
D’où viennent-elles ces rumeurs ? Elles semblent pourtant prendre corps le 4 février 2014 lorsque 13 personnes, notamment des ‘négociants’ (acheteurs d’or) et propriétaires des puits d’or locaux (appelés Président Délégué Général-PDG) signèrent une pétition. Adressée au Gouverneur du Sud-Kivu, Marcellin Cishambo, la pétition dénonçait les taxes illégales levées par les services étatiques, la montée de l’insécurité et l’octroi des droits miniers d’exploitation par les autorités congolaises aux sociétés minières privées sans ni consulter ni demander l’accord des populations locales. En plus, la pétition était rédigée sous le label d’une association locale, la Solidarité des Jeunes pour le Développement de Kimbi (SOJDK) dirigée alors par José Menga, un ancien représentant du groupe armée Yakutumba dans le programme Amani en 2008. Désormais reconverti en ‘homme d’affaires’, José Menga est aussi un cousin du chef de la localité de Misisi, Asende M’Munga Katombo W’elongo dit ‘chef Katombo’. A Misisi, nombreux parmi les négociants travaillent pour le compte de Katombo ou achètent de l’or pour des hommes d’affaires et parfois pour des personnalités politiques vivant dans les villes, à Bukavu, Goma et même à Kinshasa.
Deux mois plus tard, le 8 avril 2014, trois heures durant, des Mai-Mai présumés du groupe Yakutumba attaquaient Misisi et s’affrontaient aux éléments du 1012e régiment de l’armée congolaise, les FARDC, faisant plusieurs morts. S’agissait-il d’un simple hasard de calendrier ou d’une coïncidence avec la pétition ? Les FARDC en étaient-elles la vraie cible ? Sera-t-elle la dernière attaque du genre ?
Alors que, par le biais de son porte-parole, Pacifique Mutiki, le groupe Yakutumba se prévalait de la responsabilité de l’attaque, une autre version circula. Celle-ci pointait du doigt une toute autre faction Mai-Mai, agissant en réaction aux dissensions observées au sein de la famille de Katombo autour des avantages économiques que celui tirait du business minier local, à son propre profit. En effet, depuis 2010, Katombo était le fondateur et président de la Coopérative Minière de Kimbi (COOMIKI) comptant, en février 2014, près de 88 propriétaires des puits d’or sur lesquels la COOMIKI, et probablement Katombo lui-même, levait une contribution mensuelle de USD 50. Pire, alors que la présence de CASA Mining agaçait de nombreux acteurs miniers de Misisi, Katombo entretenait des relations étroites avec CASA Mining, en mettant à sa disposition sa propre entreprise de gardiennage, Kivu-luxe. D’autres officiers Mai-Mai se seraient ainsi mêlés à ces conflits intrafamiliaux de Katombo en plus renforcés par des rumeurs selon lesquelles ce dernier détournerait des sommes d’argent leur destinées et prélevées via la COMIKI. En juin 2014, un remplaçant de Katombo fut même désigné par la frange de sa famille contestataire de son mode de gestion. Cependant, ce dernier n’avait jamais pris fonction car non reconnu par les autorités administratives territoriales et locales.
Au vu de la tournure des événements, l’attaque armée du 8 Avril 2014 était bien dans les esprits et était l’œuvre des dynamiques économiques et sécuritaires complexes. Elle semblait bien illustrer la coexistence d’un cocktail d’intérêts économiques qui en même temps qu’ils regroupaient les acteurs, les divisaient aussi profondément. Tout en portant les marques de Yakutumba à travers sa revendication, l’attaque s’enracinait aussi dans les démêlés internes de la famille Katombo et ses connections avec des miliciens locaux. En même temps, des hommes d’affaires (négociants), propriétaires des puits et une ‘association des jeunes’ (SOJDK) pointaient du doigt les sociétés minières, en nommant indirectement CASA dans une pétition. Vu que les intérêts économiques de tous ces groupes d’acteurs sont aussi connectés à ceux d’autres acteurs locaux et délocalisés, il est fort probable que les tensions locales risquent de profondément jouer, sur le long terme, dans les dynamiques de confrontation entre CASA Mining, les milices locales et de nombreux hommes d’affaires. Enfin, bien que le rôle de Katombo soit centrale dans ses conflits et aussi floue en termes de motivations puisse-t-elle paraitre, l’attaque sur Misisi dénotait clairement cette complexité des réseaux locaux autour de l’exploitation artisanale de l’or et la manière dont les groupes armés sont connectés à leur environnement et aux tensions locales.
Le cas de Misisi illustre parfaitement la complexité de la question : comment faire face aux défis sécuritaires en combattant les groupes armés et concilier les intérêts des acteurs (autorités locales, acteurs politiques, businessmen) ? Répondre à cette question c’est aussi comprendre que dans l’Est de la RDC, analyser les liens entre défis sécuritaires et intérêts économiques est un exercice laborieux. Il transcende la rhétorique du pillage des ressources et attaques sur les FARDC souvent distillée par certains flash-médias et rapports consacrés aux dynamiques du secteur minier artisanal[1]. Une analyse minutieuse de réseaux sociaux, militaires et commerciaux dans lesquelles les intérêts des acteurs s’insèrent est un des impératifs pour rétablir une autorité de l’Etat de qualité dans les zones riches en minerais en proie à des conflits liés aux groupes armés.
Notes
[1] Par exemple, « La ruée vers l’or à Shabunda. Pratiques et impact de l’exploitation minière par drague », rapport COSOC-GL, Août 2015. Voir aussi SVH, Etude qualitative de quatre foyers de tensions dans la zone de Fizi en province du Sud-Kivu, Décembre 2014.